Jouons le jeu des amalgames.
Il est entendu qu’Alexandre Bissonnette était un admirateur de Donald Trump. Allons même jusqu’à dire que Donald Trump est en partie responsable de la tuerie à Québec parce que son discours anti-musulman et ses actions contre des pays musulmans légitime l’islamophobie.
Réduisons donc notre analyse à ce lien : Alexandre Bissonnette = Donald Trump.
Je ne devrais pas avoir de problème avec cette conclusion puisque Donald Trump et Alexandre Bissonnette m’inspirent tous deux des sentiments très négatifs. Pour moi, ils sont les symptômes et les instruments d’un monde qui va immensément mal. Mais laissons de côté mes émotions et retournons dans le passé.
« Je ne suis pas Charlie »
Souvenons-nous maintenant des débats houleux à la suite des attentats terroristes contre la France, particulière celui contre l’équipe de Charlie Hebdo. Qu’est-ce qu’on opposait à la dénonciation de l’islam-isme? À l’imputation de la lecture littérale des écrits islamiques guidant les groupes terroristes islamistes? À la conclusion que cette religion est capable d’inspirer le pire?
Les réponses relativistes tournaient autour de la santé mentale des terroristes, de leurs situations socio-économiques, de la qualité médiocre de leur religiosité, etc. Encore plus, on pointait le néo-colonialisme occidental et sa discrimination « systémique » (c’était tout comme, même si le terme n’était pas encore à la mode…). Donc, il n’y avait pas de lien à faire entre la religion et le terrorisme ni entre la religion et les terroristes.
La valeur des convictions
Regardons maintenant comment sont considérées les convictions religieuses en comparaison avec les convictions politiques, philosophiques et autres. En général, les convictions religieuses sont considérées comme absolument respectables, voire essentielles aux humains qui s’en réclament. Tellement que l’expression des convictions religieuses n’est pas considérée comme égale en valeur avec l’expression des autres convictions.
Une preuve parmi tant d’autres : ici, les réglementations prohibant l’expression de ces autres convictions – via les vêtements et accessoires – ne s’appliquent pas quand il s’agit de l’expression des convictions religieuses, au nom de la liberté de religion. Parce que la liberté de religion ne concerne pas que la conviction intime et le droit de se regrouper dans des lieux de cultes, mais aussi une liberté d’expression de sa conviction pour ainsi dire illimitée. Voilà ce à quoi se bute la laïcité en dehors de sa version « ouverte ».
En gros, il est très mal vu de critiquer ou de prôner quelconque contrainte envers la liberté d’exprimer sa religion. Encore pire, les convictions religieuses ont un statut privilégié qui s’imbrique dans la normalité, dans une légitimité qui tient de l’absolu, alors que les autres convictions sont pour ainsi dire dans le domaine de l’arbitraire. Les convictions religieuses doivent absolument être considérées avec respect et tout accro à ce respect, même seulement pour critiquer l’étendue de la liberté de religion, est suspect.
Des monstres…
Pourtant, ceci expliquant sans doute cela, on se retrouve aujourd’hui avec un monstre lié à un autre monstre, essentialisé à lui par le lien des convictions politiques. Et là, étrangement, ce lien semble aussi fort que celui qui lie l’humain croyant et sa religion. Alors que de l’autre côté, ce que l’on considérait comme important pour expliquer le geste du terroriste islamiste – sa santé mentale, sa situation socio-économique et toutes les autres raisons contextuelles – ne réussit pas à entrer en ligne de compte pour le cas d’Alexis Bissonnette. S’il faut le rappeler : Alexandre Bissonnette = Donald Trump.
Personnellement, l’idée même de faire entrer ces considérations externes dans l’équation me répugne, mais c’est en dehors de l’émotion qu’il faut analyser les choses. Si le terroriste islamiste a eu droit à une analyse plus large que son lien avec la religion (analyse qui réussissait même à nier ce lien), je ne vois pas pourquoi Alexandre Bissonnette ne pourrait pas en bénéficier, pour faire contrepoids au lien fort qui est dressé avec Donald Trump.
L’argumentaire de l’anguille
Mais ce n’est pas le but de l’exercice. Je peux tout à fait me contenter de mettre un visage sur ce que devrait servir à désigner le terme « islamophobie », sans pour autant acquiescer à cette idée que la tuerie de Québec serait une preuve sans équivoque d’une « islamophobie systémique ». Ce que je veux surtout faire ressortir, c’est que la logique des convictions religieuses essentielles et inaliénables fout le camp quand un phénomène négatif lié à la religion ne lui donne pas bonne presse. Ce qu’il faudrait comprendre : le terroriste islamiste n’a rien à voir avec la religion, et ceux qui l’instrumentalisent, tandis que le terroriste d’extrême droite a tout à voir avec l’idéologie sous-jacente et ceux qui, comme Donald Trump, l’instrumentalisent.
Par contre, ce qu’il faut vraiment comprendre, c’est que l’argumentaire pour défendre le phénomène religieux – surtout dans une optique de diversité et de tolérance, donc surtout en lien avec l’islam – est d’une habilité déconcertante pour être insaisissable. D’un côté, cet argumentaire est essentialiste quand il est question de réagir à l’interdiction des signes religieux – le voile étant au centre du débat, il ne faut pas l’oublier… Mais de l’autre côté, cet argumentaire est, au contraire, existentialiste quand il s’agit de réagir à la critique de l’islamisme, qui est pourtant par essence lié au fait religieux. Autrement dit, ceux qui se servent de l’islam peuvent toujours s’en laver les mains en pointant les supposés amalgames. Ce qui est une mauvaise nouvelle pour les croyants qui aimeraient bien que la pratique de la religion se résume le plus possible à l’espace privé… et qu’on arrête de les relier à ceux qui demandent des accommodements et aux barbares qui veulent convertir le monde entier.
Alexandre Bissonnette = PQ
Sinon, celui qui joue actuellement le mieux au jeu des amalgames est Philippe Couillard. Après avoir mitraillé des amalgames pour défendre le port du voile et nier la causalité religieuse du terrorisme islamiste – aidant du coup ses amis saoudiens -, il a réussi le tour de force de mettre le PQ à la place d’Alexandre Bissonnette, tout en éliminant du même coup la présomption d’innocence. Il faut le faire! Rappelons-nous de ces paroles divinement mensongères :
« Je ne voudrais pas revenir sur les événements malheureux [la tuerie de Québec] dont ce parti [le Parti Québécois] a été l’auteur »
User ainsi de son immunité parlementaire pour dire de telles énormités – qui lui auraient assurément valu ailleurs qu’à l’Assemblée nationale de graves conséquences légales -, c’est indigne d’un chef d’État… on dirait Donald Trump!
Désolé pour la blague, mais il n’y a tellement pas grand-chose de drôle par les temps qui courent… On a l’impression que la tendance conspirationniste gagne de plus en plus les coeurs et les têtes. La tuerie de Québec, l’élection de Donald Trump, le PQ et l’ensemble de son oeuvre nationaliste et l’importance que prennent les débats sur la laïcité semblent être selon certains des preuves incontestables qu’il y a un complot contre les musulmans. Et pour contrer ce complot, l’accusation d’islamophobie est une arme légitime pour débusquer les supposés cryptoracistes comme moi qui essayent de se faire passer pour des progressistes laïques et féministes. Ou d’autres qui essayent de se faire passer pour des conservateurs et des nationalistes respectables…
Mais au-delà de la caricature vivante qu’est Philippe Couillard, très facile à rejeter pour tous les bien-pensants, ce qu’il y a derrière l’accusation d’islamophobie, tous les amalgames ridicules qui viennent avec cette idée du choc des cultures, n’est-ce pas en soi du conspirationnisme? Cette idée que le néocolonialisme est effectif socialement et qu’il existe une tyrannie de la majorité, n’est-ce pas en soi du conspirationnisme? Et la diabolisation du nationalisme et de la question identitaire sous le couvert d’une soi-disant xénophobie larvée, et le racisme qui est déclaré ici systémique avant même des résultats le prouvant, sur la seule foi de statistiques qui ne disent pas grand-chose sur les causes, n’est-ce pas en soi du conspirationnisme?
S’il faut adhérer à ces croyances pour être une bonne personne aujourd’hui, je préfère encore assumer que je suis un monstre pour certains.