Un couvre-feu, nos libertés et une épidémie d’anxiété

Depuis l’application du règlement sur le port du masque, une question s’impose : celle du respect de nos libertés. Or, depuis l’imposition d’un couvre-feu, alors que cela nous renvoie aux périodes les plus sombres de l’histoire, cette question en devient d’autant plus sensible. Aussi, bien qu’il soit légitime de nous inquiéter pour nos libertés, je pense que nous devrions bien plus nous méfier de notre jugement.

C’est que si nous pouvons douter de la réalité de cette pandémie, nous ne pouvons pas douter qu’elle provoque son lot d’anxiété, et à un point tel que nous pouvons dire qu’il s’agit d’une épidémie. Si ça se trouve, nous en sommes majoritairement atteints, et peut-être plus gravement que nous le pensons. Or, la preuve n’est plus à faire que l’anxiété influence défavorablement notre jugement. Donc, nous devrions surtout remettre en cause ce qui nous pousse à tant nous inquiéter pour nos libertés.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais spécifier ici que je n’ai aucunement l’intention de culpabiliser quiconque. Nous avons toutes les raisons de nous sentir démunis devant ce que l’avenir nous réserve. Cette zone d’ombre est inquiétante et il va de soi que nous pouvons nous questionner à savoir si ces mesures sont permanentes ou momentanées et sur leurs finalités. Le doute est humain.

Par contre, s’il faut trouver un coupable, je pense que nous devrions surtout regarder du côté de nos sentiments. Ceux-ci sont les premiers répondants devant toute situation et il va sans dire que la situation actuelle n’est pas de tout repos, émotivement. Aussi, si nous doutons, c’est que nous avons d’abord envisagé, imaginé. Et alors que notre imagination est généralement une bonne chose, elle ne l’est certainement pas toujours. Alors, ce que nous devrions comprendre, c’est que le doute qui nous gagne actuellement découle visiblement bien plus de nos sentiments que de notre rationalité. Même en temps normal, tout nous indique que nous avons fortement tendance à sous-estimer le pouvoir qu’à notre psyché sur nos perceptions, notre entendement et notre jugement. Tout est là pour nous faire craindre le pire et nous donner à penser que nos raisons sont rationnelles.

C’est ce qui fait que d’un point de vue éthique, nous pouvons tout à fait croire que nos libertés sont en danger. Mais en l’absence de toute certitude quant à la réalité de ce danger, nous devrions surtout nous demander si cette crainte est raisonnable, puisque le présent ne peut pas nous donner raison. Alors, ce que nous devrions nous dire, c’est que même s’il est possible que nos libertés soient contraintes à tort, il est tout de même aussi possible que la situation soit telle que l’on nous la présente. Donc, à partir du moment où nous pourrions déjà reconnaître notre part d’anxiété, nous pourrions au moins nous appuyer sur cette incertitude pour tenter de la calmer. Et donc, par précaution, nous devrions alors suspendre notre jugement. Mais je dois l’admettre, cela est plus facile à dire qu’à faire…

Une anxiété qui va de soi

Pour vous faire voir l’ampleur de la difficulté qui se présente avec notre anxiété, j’aimerais que vous pensiez aux personnes qui souffrent d’anxiété maladive et qui sont en thérapie pour s’en sortir. D’ailleurs, je suis plutôt bien placé pour en parler puisque, voilà plusieurs années, j’ai participé pendant quelques semaines à une formation intensive sur la gestion de l’anxiété. Avec cette formation, ce que j’ai retenu de plus important, c’est que pour s’en sortir, il faut reconnaître et accepter son impuissance, et se concentrer ce sur quoi il est possible d’agir.

Par exemple, pensons à une personne qui souffre d’anxiété maladive parce qu’elle voit partout des signes de ses malheurs à venir. À partir du moment où elle comprend que ses inquiétudes n’ont aucunement le pouvoir de changer le cours des choses, elle peut conclure que son problème n’est pas le réel, mais sa manière de l’envisager. Mais le plus gros du travail reste à faire. Il lui faudra désamorcer les réflexes psychologiques qui causent son trouble pour se constituer de nouveaux réflexes, plus sains pour son équilibre mental.

Ici, revenons à notre situation. Ce qui joue contre nous, c’est que contrairement à l’anxiété maladive, la nôtre est justifiée — et justifiable. Elle nous est même très utile puisqu’elle nous sert à nous protéger des dangers, notamment en étant sur nos gardes. Or, nous sommes devant un problème bien réel qui a vraiment des répercussions sur nos vies. Nos inquiétudes ne sont pas simplement le fruit de notre imagination ou de nos appréhensions hâtives, contrairement aux anxieux maladifs. Justement, leur problème, c’est qu’ils se protègent inutilement d’un danger, puisque celui-ci n’existe pas.

Alors notre problème, c’est que même si elle justifiée, notre anxiété peut quand même prendre le contrôle de nos vies. Et alors que nous avons vu que le premier pas à franchir pour un anxieux maladif est de reconnaître son impuissance, nous pouvons difficilement nous dire que nous n’avons pas de pouvoir sur la situation. Bien que nous ayons peu de pouvoir sur la situation, nous en avons bien assez. L’exemple le plus évident, c’est que si nous croyons que toutes les directives en place sont exagérées, nous avons au moins le pouvoir de plus ou moins les respecter.

Un verre à moitié plein ou à moitié vide?

Une autre difficulté, c’est que nous pouvons réagir à la situation sans même savoir que c’est notre anxiété qui en est le moteur. Aussi, certains seront portés à respecter maladivement les consignes et à prendre très mal tout ce qui s’en écarte, parfois même au point d’y réagir de manière excessive — d’ailleurs, je dirais que j’ai plus amplement tendance à réagir ainsi. Et pour certains autres, leur anxiété passera par la remise en cause des mesures en place, si ce n’est pas carrément en niant leur légitimité — d’où leurs fortes inquiétudes à propos de nos libertés.

Pour moi, il n’y a aucun doute que ce qui nous pousse à réagir si différemment, c’est notre rapport à la liberté et à la contrainte. Pensez à la métaphore du verre à moitié plein ou à moitié vide. Alors qu’il n’y a aucun doute que nos libertés sont contredites, cette contradiction nous semblera plus ou moins acceptable selon nos différentes perspectives. En dehors de toutes nuances, si pour les uns ces contraintes sont tout bonnement inacceptables, pour les autres, ce sont les libertés que certains prennent qui sont inacceptables, puisqu’elles contredisent le bien-fondé de ces contraintes.

Et c’est ce qui fait que, comme trop souvent à notre époque, nous assistons actuellement à un combat entre deux extrêmes. D’un côté du ring, nous avons la liberté comme idéal. Et de l’autre, nous avons la liberté conditionnelle. Donc, si du côté idéaliste on considère que la liberté est un bien contredit par ces contraintes, on considère de l’autre côté que ces contraintes sont un mal nécessaire.

Aussi, force est d’admettre que ces deux positions se défendent. Mais pour y arriver, déjà faudrait-il que nous puissions mesurer la valeur de cette liberté avec un minimum de substance et de certitude. Or, le contexte actuel ne nous le permet pas tellement. L’incertitude y règne et cela est hautement anxiogène pour les humains que nous sommes, alors que l’animal en nous n’est jamais très loin…

Anxiété et (in)certitude

Pour vous montrer à quel point nous sommes à côté de nos pompes, j’aimerais revenir de nouveau à l’anxiété maladive. Dans le cas de cette forme d’anxiété, il va de soi que la question de la liberté et de la contrainte ne se pose pas. Comment pourrait-il en être autrement? À partir du moment où une personne reconnaît son problème, cela devient pour elle une certitude. Aussi, elle ne pourrait donc pas considérer être contrainte de l’accepter ni d’y réagir. Par exemple, si elle ne se sent pas prête, elle est libre de ne pas entreprendre une thérapie.

Ce que cela fait ressortir, c’est la différence entre l’anxiété maladive et celle que provoque chez nous la pandémie. Aussi, cette différence concerne le niveau de certitude que nous pouvons donner à notre anxiété et à ce qui la cause. Bien honnêtement, la seule certitude que nous pouvons nous permettre, c’est que nous sommes dans une période de crise. Sinon — et c’est bien là où tout achoppe! —, nous pouvons très bien nous poser la question à savoir de quelle crise il s’agit.

S’agit-il vraiment d’une pandémie, d’une mise en scène pour nous manipuler ou d’une nouvelle maladie qui offre beaucoup d’opportunités à qui veut en tirer profit? Nous avons tous notre petite idée là-dessus, mais le plus important ici, c’est que si nous pouvons tenter de répondre à cette question en forgeant nos certitudes, il nous faudrait aussi admettre que tout ce que nous avons pour y arriver, c’est notre confiance.

Une question de confiance

Vous me pardonnerez d’évoquer une telle évidence, mais il faut le rappeler, notre rapport à la vérité est grandement basé sur la confiance. Nous donnons notre confiance à des consensus, à des spécialistes, à ce qui est considéré comme officiel, à des systèmes de croyances préétablis ou à ceux que nous nous fabriquons sur mesure, etc. Cela nous est très utile puisque nous pouvons nous y appuyer afin de réfléchir et de prendre des décisions. Sans cette confiance, nous serions complètement démunis. Nous sommes dans l’impossibilité de fonder à la source tout ce qui compose le portrait que nous nous faisons de la réalité. Comment pourrions-nous avoir une quelconque idée de ce qui est vrai et de ce qui est faux sans cette confiance? Par contre, son plus grand défaut — qui est aussi une qualité —, c’est que cette confiance a des limites.

N’est-ce pas parce que nous avons conscience de ces limites que nous pouvons remettre en question certaines parties, voire l’ensemble de ce que nous pensons? Comme on dit, il n’y a que les fous qui ne changent pas d’idée. En contrepartie — et c’est là tout le paradoxe —, cette confiance peut aussi nous induire en erreur (tout comme d’ailleurs son pendant, la méfiance). Encore, par exemple, si une personne qui souffre d’anxiété maladive sait qu’elle a tout à gagner à donner sa confiance à un spécialiste plutôt qu’à son propre jugement, rien n’est évident pour nous en ce moment. À qui et à quoi devons-nous faire confiance? Comment pouvons-nous en juger, alors que la situation actuelle nous donne à la fois raison de penser que nous avons tout à gagner et tout à perdre, que ce soit en acceptant ou que ce soit en niant que nous sommes réellement devant une pandémie mondiale?

Même si des spécialistes nous assurent que nous sommes en pandémie, nous n’avons que le pouvoir de leur faire ou non confiance. Même si objectivement il vaut mieux faire confiance à un spécialiste qu’à un charlatan, la stricte vérité quant à la pandémie nous est tout de même inaccessible; et surtout, nous n’avons qu’un pouvoir partiel sur ce qui se joue. Notre seul pouvoir, c’est celui d’adapter nos comportements en conséquence de la réalité de la situation — enfin, en conséquence du regard que nous portons sur cette réalité, alors qu’elle devient ainsi la nôtre. Aussi, la difficulté qui s’ajoute, c’est que dans un sens, notre confiance n’est pas plus fiable qu’un coup de dé. Cela, même s’il va de soi qu’il y a une différence énorme entre les mouvements hasardeux d’un dé et tout ce qui nous permet de donner notre confiance.

Gager plutôt que croire?

Ici, tenons pour acquis que notre confiance n’est pas plus fiable qu’un coup de dé. Même si nous avons parfois raison de donner notre confiance, avant que cela se confirme, nous n’en avions aucune assurance. Nous n’avons jamais en soi raison de croire à ci plutôt qu’à cela. Aussi, de ce point de vue, notre confiance est une gageure que nous prenons constamment avec la vérité. Alors, devant la situation qui est la nôtre, si le mieux que nous pouvons faire est de gager et que notre confiance n’est pas assez fiable pour ce faire, nous devrions donc nous appuyer sur autre chose. À bien y réfléchir, puisque la solidité de la certitude n’est pas disponible, j’opterais pour un certain calcul. Ce qu’il nous faudrait calculer, c’est ce que nous avons à gagner et à perdre selon les différents scénarios possibles.

Donc, si nous envisageons toutes les possibilités, qu’avons-nous à perdre et à gagner aujourd’hui en réagissant à la situation? Difficile d’y répondre. Aussi, pour y arriver, simplifier les choses : réduisons le tout à ce que le combat des opinions nous donne déjà, soit que certaines de nos libertés sont suspendues pour des raisons illégitimes, soit qu’elles le sont parce que nous sommes réellement en pandémie.

Pour notre calcul, regardons simplement ces deux cas de figure selon qu’ils s’avéreraient ou non. Et tenons pour acquis que plus la conviction que nos libertés sont bafouées à tort est forte, moins les consignes ont tendance à être respectées. Et que la conviction contraire tend à un plus grand respect des consignes. Alors, ce qui devrait ressortir de ce calcul, ce sont les plus probables répercussions de nos agissements actuels.

Premièrement, dans le cas où ces contraintes seraient illégitimes, le fait d’agir actuellement en accord avec cette idée ne peut qu’avoir une portée symbolique, à défaut d’avoir une réelle portée, étant donné l’impossibilité de savoir le fin mot de l’histoire. Ainsi, le fait que certains d’entre nous réagissent à l’encontre de ces contraintes ne fait aucune différence quant à la teneur réelle du problème. Pour l’instant, nous n’avons que le luxe de nous adresser à un problème potentiel.

Et même si ceux qui craignent que l’on nous manipule envoient bien un message par leurs idées et leurs actions, il reste que, quelle que soit la force de sa portée symbolique, cela ne nous rend pas pour autant une once de liberté. La fatalité, c’est que nos libertés seront en suspens jusqu’à ce que tout revienne à la normale ou qu’une autre vérité éclate au grand jour. En temps normal, si la désobéissance civile a une certaine utilité, nos temps incertains rendent cette utilité bien incertaine.

Deuxièmement, dans le cas où ces contraintes s’avéreraient légitimes, nous n’avons que des évidences à nous mettre sous la dent : agir en accord avec ces contraintes aura été un bienfait, alors que d’avoir agi en désaccord avec elles aura causé des torts. Et encore, en attendant de le savoir, le fait de suivre les consignes n’a aussi qu’une incidence strictement symbolique; si ce n’est que cela encourage le plus grand nombre à les suivre, tout en contentant ceux qui donnent toute leur confiance au discours officiel. Aussi, si en temps normal il nous est utile de remettre en question ce qui contraint directement nos libertés — comme ce qui tend à nous maintenir dans un cadre normatif donné —, nos temps incertains rendent cette utilité tout aussi incertaine.

Alors, je pense que si nous devons gager, nous avons tout intérêt à faire comme si nous sommes réellement en pandémie. Nous ne perdons rien à agir ainsi puisque si cela se confirme, cela aura eu des répercussions positives. Et pour nous consoler, s’il est plutôt vrai que nos libertés ont été bafouées à tort, le fait d’avoir suivi les consignes ne nous empêchera aucunement de nous battre plus tard pour elles. Alors qu’en agissant aujourd’hui à l’encontre de directives que l’avenir nous confirmerait légitimes, nous nous rendons seulement plus longtemps la vie difficile. Donc pour l’instant, s’il y a quelque chose à gagner, il vaudrait mieux gager sur la patience et donner notre confiance à notre proverbiale résilience.

En toute anxiété et en tout espoir

Tout de même, ce que j’ai de mieux pour vous convaincre de gager dans ce sens, c’est l’évidence que, collectivement, nous faisons face à une épidémie d’anxiété et qu’elle met à mal notre jugement. De plus, s’il est bien normal que notre anxiété nous pousse à penser et à agir dans notre propre intérêt, j’aimerais que vous voyiez le danger : celui de croire que cette pulsion est tout à fait rationnelle. À voir l’ampleur des débats et des dégâts qu’ils provoquent, nul doute que c’est le cas pour beaucoup de gens. Il nous est très facile de nous convaincre que ce ne sont pas nos émotions qui parlent.

Sinon, je suis bien conscient que vous avez toute la liberté de me faire confiance, de donner un quelconque crédit à mon analyse. Je sais bien aussi qu’en ayant déclaré d’emblée que j’ai souffert d’un problème d’anxiété, j’ai ouvert la porte au doute. Bien honnêtement, j’ai pris une gageure en décidant de vous en faire part. J’ai gagé sur la franchise. En fait, j’ai tout misé sur l’espoir que cette confession vous donnera une certaine assurance que je sais minimalement de quoi je parle.

J’en appelle donc ici de votre meilleur jugement. Enfin, idéalement, celui qui ne serait pas contaminé par votre anxiété — si j’ai pu réussir à vous en faire prendre conscience. Et en guise de conclusion, je vous poserai une dernière question afin de montrer que notre anxiété par rapport à nos libertés est sans doute disproportionnée : vivre en société, n’est-ce pas déjà en soi un déni de liberté, étant donné que pour profiter de ses avantages nous devons délaisser une grande part de notre liberté?

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Le drapeau de la honte

Nous en sommes malheureusement là.

Interdiction moralisatrice de dire le terme « nègre », même dans le cas où il faut objectivement nommer le titre de l’essai autobiographique, « Nègres blancs d’Amérique », écrit par le felquiste Pierre Vallières à cette époque où les justiciers sociaux ne se spécialisaient pas encore dans l’enquête de crimes imaginaires. Et ils nous diraient que ce titre est en quelque sorte un « blackface » qu’il n’y aurait rien de surprenant!

Si je m’adresse à eux alors qu’ils ont visiblement une lecture de l’histoire à géométrie variable, il ne me servirait à rien de leur dire que ce terme a été historiquement aussi utilisé dans des sens qui ne référaient aucunement à la couleur de peau. Le meilleur exemple, que je pointerai en anglais pour qu’ils me comprennent, c’est que « nègre » a entre autres le même sens en français que « ghost writer ». Mais je perds mon temps.

Donc, pour la suite, je me concentrerai sur l’autocensure politiquement correcte qui a donné, le 24 juin dernier, le fait que l’on n’a pas montré le drapeau du Québec lors du spectacle censé le fêter. Il serait ridicule de penser qu’il s’agit d’un simple oubli. On a visiblement tenté de prévenir un attentat ostentatoire. Pourtant, ce risque n’existe que dans l’esprit de ceux qui, quand ils ont les moyens de ne pas voir simplement dans sa blancheur une contradiction avec la diversité, ne peuvent que voir dans son symbole l’extrémisme du Front de libération du Québec et le nationalisme correspondant. Comme s’il y avait un moindre sens à, rétroactivement, nous rendre coupables de nos velléités d’indépendance – même seulement de nous reconnaître en tant que nation – parce qu’une poignée de personnes ont pensé que pour combler leur désir pressant, l’option d’agir au-dessus des lois était la bonne.

Nous sommes toujours une menace

Pour la réingénierie sociale en cours, qui n’en a que pour une forme de diversité exclusive, le fait que nous soyons toujours là avec notre origine ethnique – pourtant bâtarde! -, notre culture et notre langue est déjà bien assez blasphématoire. Il ne nous faudrait surtout pas dire notre histoire. Même seulement de dire, du bout des lèvres, honteusement, peut-être fièrement pour les plus courageux d’entre nous, que nous avons au moins gagné officiellement un drapeau. Surtout, il ne faudrait pas que l’on dise à notre place, même sans le vouloir, que nous étions colonisés et qu’il pourrait en rester quelque chose. Cela, alors que d’autres ont le droit de dire et même, étrangement, le devoir de crier que leurs ancêtres ont été des esclaves ou que leur peuple a été en partie haineusement décimé. Heureusement, sauf exception, nous ne leur refusons aucunement ce droit. Ce qui représente une menace, c’est que nous puissions voir dans ce devoir de crier ses souffrances historiques l’injustice de la culpabilisation rétroactive qui en découle. Mais cette nuance est bien trop difficile à comprendre. Il est plus simple de nous dénoncer en disant que nous leur refusons un droit.

Pourtant, la pire menace que nous représentons, ce serait celle d’amputer le Canada qui, par la représentation théâtrale qu’en fait Justin Trudeau, se targue maintenant d’être le pays le moins national du monde. Donc, si nous représentons quand même une menace, c’est sans doute parce que la culpabilisation rétroactive n’a pas trouvé bon d’inclure nos doléances dans sa grille d’analyse. Sa définition des bienfaits de la diversité n’est finalement peut-être pas aussi inclusive qu’elle le prétend… D’un autre côté, cela se défend : par rapport à cette logique diversitaire, l’apport linguistique et culturel des blancs que nous sommes est bien trop contradictoire. C’est qu’elle a été pensée et qu’elle se propage en adéquation avec la standardisation culturelle anglo-saxonne. Le simple fait d’exiger des traductions de sa production – même seulement en français international – nous rend aussi suspects qu’on put l’être ceux que l’on a emprisonnés à tort lors de l’épisode des mesures de guerre; et voilà bien un pan de l’histoire que nous devrions idéalement oublier.

La tromperie des apparences

Là où la diversité arbitraire est reine, dans ce nouveau royaume où il ne s’agit que d’avoir de bonnes intentions pour avoir les bonnes solutions, on veut le bien de tous. Et bien sûr le nôtre aussi, puisque leur inclusivité passe par là. Mais pour l’avoir, nous devons nous repentir devant cette victimité dont nous sommes exclus d’office. Ce droit est réservé à ceux qui en auraient le mérite, alors que ce mérite est visiblement mesuré selon des critères liés aux apparences. Avoir l’apparence d’une victime vaut plus que de l’être sans en avoir l’air. Et ce qui le permet, c’est le jugement et la condamnation rétroactive des coupables historiques via ceux qui ont le plus l’air d’être leurs héritiers. Et pour que leurs fautes soient rachetées dans le présent, il ne suffit que de voir des correspondances superficielles entre leurs victimes réelles et des personnes vivantes – qu’elles acceptent ou non de se victimiser – et d’exiger qu’on leur donne réparation dans le présent. Par exemple, par des mesures de discrimination positive, puisque cette culpabilité historique est pour eux ce qui est à la source de la discrimination systémique dont elles sont victimes. Par contre, il vaut mieux pour elles d’accepter de jouer le jeu, sinon elles courent le risque de se faire accuser de collaborer avec l’ennemi.

Et ce n’est pas un hasard si on nous refuse le mince statut de victime que nous pourrions demander en regard de notre histoire. C’est qu’il est trop objectif pour leurs raisons subjectives de le donner. Pourtant, si le taux d’intégration à ce qui fait de nous une nation est un fait objectif, nous sommes bien victimes de quelque chose qui ne tient pas que sur les apparences. Quelque chose qui fait que, bien réellement, la part de nos citoyens qui vivent parmi nous en touristes pourra continuer de gonfler et d’amplifier notre folklorisation. Et s’ils sont bien peu intéressés par notre différence linguistique, il serait bien mal avisé pour nous de leur reprocher personnellement, sans sarcasme, puisqu’ils ne font que suivre le courant. Comme certaines espèces menacées ne trouvent pas l’enthousiasme des militants pour la préservation parce qu’elles leur semblent avoir une apparence trop rebutante, certaines langues et cultures comme les nôtres ne méritent pas l’enthousiasme des militants diversitaires. Et alors qu’ils trouvent de plus en plus d’oreilles attentives dans les hautes sphères, puisque leur diabolisation du nationalisme passe par un déni de son utilité à préserver les intérêts de proximité et que ces intérêts sont de plus en plus perçus comme chose du passé, nous sommes rebutants. Et nous le sommes parce que le bien-fondé de préserver la primauté des langues locales comme langues communes est perçu comme une exclusion des immigrants qui, peut-être parfois par facilité, sans doute par nécessité, ont dans les faits tendance à s’intégrer linguistiquement selon le standard international, alors qu’en le faisant ils seraient dans leur droit. Qui sommes-nous pour leur discuter ce droit au nom de la pérennité de notre langue et de notre culture?

Le droit à la reconnaissance

Mais ce qui devrait jouer en notre faveur, c’est que même si nous ne voulons pas oublier notre histoire liée à la colonisation anglaise, nous ne demandons plus une culpabilisation rétroactive du pouvoir anglais, comme cela allait de soi à une autre époque. Quand même, nous devrions pouvoir nous réclamer de l’histoire. Cela devrait être légitime pour tous, à condition de le faire pour avancer, et non pas pour rétropédaler. De cette manière, parce que nous pouvons faire un lien avec l’histoire, nous pouvons constater qu’il y en a toujours aujourd’hui pour vivre dans la nostalgie de ce pouvoir. Cela au point où, pour certains d’entre eux, nous mettre des bâtons dans les roues est une priorité. Le cas du terroriste anti-québécois Richard Bain est là pour nous montrer de la manière la plus grotesque que nous sommes vraiment une cible. Le fait que l’on tentait de le dépeindre comme un amoureux du Canada – que le nationalisme québécois aurait tout simplement fait mal tourner – montre bien que là où des jupes courtes peuvent causer des viols, nous n’avions qu’à ne pas blesser tant de fédéralistes avec notre démarche provocante…

Toujours en notre faveur, contrairement à ceux qui, bien ironiquement, nous visent sur la seule foi de cette différence qui nous mettrait du mauvais côté de l’histoire – particulièrement du côté d’une majorité oppressive qui n’en aurait que pour ses privilèges -, nous ne demandons pas réparation. C’est que de toute façon, le réel ne nous donnerait aucunement raison. Nous sommes déjà allés la chercher cette réparation, et en plus, de la manière la plus tranquille, sans même avoir eu besoin de faire payer leurs réels héritiers ni des héritiers allégués. Nous ne demandons que de la reconnaissance. Enfin, celle que nous existons, avec notre histoire et nos symboles, malgré le fait que certains pans de notre quête identitaire ne sont pas des plus reluisants. Et le pire, c’est que s’il faut justifier notre désir de reconnaissance en regard des critères actuels, même si la propagande inclusiviste tente de faire croire le contraire, cette reconnaissance inclut bien heureusement tout citoyen, pour le peu qu’il se reconnaisse en partie dans ce « nous » que l’on ne cesse de nous reprocher. Et si cela donne à penser qu’il y a tout de même en contrepartie une exclusion symbolique dans mes propos, les citoyens du monde qui habitent au Québec et ceux qui se pensent strictement canadiens s’en excluent d’eux-mêmes. Heureusement, dans les faits, cela ne leur enlève aucun droit. Surtout, cela ne leur enlève aucunement le privilège de faire partie d’une des sociétés les plus ouvertes d’esprit et égalitaires au monde…

En somme, il ne s’agit que de nous donner la reconnaissance d’exister symboliquement malgré la culpabilisation rétroactive. C’est que si les États-Unis ont cette reconnaissance malgré le fait qu’ils se sont construits grâce à la force de l’esclavage, pourquoi nous la refuser? Si l’Allemagne l’a alors qu’elle ne se débarrassera jamais tout à fait du stigmate de l’Holocauste, pourquoi n’y aurions-nous pas aussi droit? Si pourtant le Canada l’a alors qu’il s’est construit une identité en grande partie sur le vol de nos symboles, pourquoi devrions-nous accepter que l’on taise ce qu’il ne nous a pas volé et ce que nous en avons fait? Et surtout, pourquoi cette reconnaissance est-elle acquise pour le Canada, alors que ce que nous avons subi est de la petite bière, comparé à ce qu’ont subit et ce que subissent encore certains autochtones? Comment peut-il s’afficher fièrement et pas nous, alors qu’il a utilisé, dans le but avoué de les exterminer culturellement, les mêmes qui entretenaient notre servilité en nous effrayant à coups de jugements derniers, devant le risque de ne pas gagner notre ciel si nous ne participions pas à préserver notre « race »?

Pourquoi devrions-nous accepter que l’on nous traite comme si nous avions fait et que nous faisions actuellement encore pire que ces autres?

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COVID-19 – Lettre ouverte à Lucie Laurier et David La Haye

Avec tout le respect que je vous dois, mais que je ne dois aucunement aux idées, j’aimerais vous dire quelque chose qui me semble très important dans le contexte actuel de la pandémie de COVID-19. Et vous m’excuserez d’avance pour la longueur de cette lettre. Mais je pense que ce que j’ai à vous dire en vaut la peine, au risque de vous perdre en cours de route.

Pour commencer, il me semble très noble de votre part de vous inquiéter du sort du monde en dénonçant, chacun à votre manière, ce que le doute vous fait voir, mais que l’on peut tout de même relier aux théories du complot. Sinon, je n’ai aucun doute que vous êtes surtout menés par l’espoir de participer à ce que l’on puisse déjouer ce que votre doute met de l’avant. Ainsi, notre espoir est le même. Par contre, même si je pense qu’il y a bien un complot à l’oeuvre, ce n’est pas celui que vous pensez. Celui-ci n’est pas l’oeuvre de personnes mal intentionnées qui l’ont provoqué ou qui profitent simplement de la situation : il s’est tramé petit à petit dans nos cerveaux à la mesure de notre évolution, depuis que nous avons la capacité de nous interroger.

Si je vous en fait part, c’est que j’ai la certitude – tout comme vous – que tout le monde devrait en avoir conscience. Et que pour y arriver, il faudrait que de plus en plus de gens le dénoncent, particulièrement vous, puisque vous avez le privilège d’attirer les regards. Alors, si je m’adresse à vous, c’est bien honnêtement par opportunisme. Je n’ai eu que de vagues échos de vos prises de position. Mais revenons au sujet principal.

D’abord, ce complot était à la base tout petit et somme toute assez utile pour nous. Le problème, c’est qu’il est devenu gigantesque et carrément dangereux. Il s’est amplifié depuis la révolution industrielle, et encore plus depuis la révolution internet. Et alors qu’il serait impératif de trouver des terrains d’entente pour affronter tous les défis qui se présentent à nous depuis, ce complot nous fractionne en factions. Et de cette façon, il participe à nous conforter dans nos croyances individuelles et communautaires.

Notamment, cela se rend pour certains jusqu’à nier la science; ou à en avoir une confiance à la carte, dans les cas où quelques rares conclusions scientifiques peuvent conforter leurs croyances. À mon sens, il faudrait plutôt que nous nous entendions sur le fait que, bien que la science soit évidemment contestable et incertaine – le flou scientifique actuel que nous pouvons constater pour ce qui est de la crise du coronavirus nous donne certainement maintes raisons de le penser -, elle reste tout de même ce que nous avons de plus fiable pour appuyer nos croyances et notre vision du monde.

Le problème de l’adaptation

Ce que j’ai pu conclure avec mes études, mes recherches et mes réflexions en lien avec l’évolutionnisme, c’est que notre cerveau ne peut pas s’adapter aussi rapidement qu’il le faudrait devant l’ampleur de l’accélération de notre mode de vie. Au point où parfois ce qui était avantageux évolutivement selon notre ancien mode de vie devient un piège dans celui-ci. Le problème de l’obésité en est un bon exemple. Si ce problème est présent dans les pays où ces changements ont eu le plus d’impact, c’est qu’il a été avantageux de développer un goût marqué pour ce qui est gras, sucré et salé. Au point où cela s’est inscrit dans notre bagage génétique. Alors que le temps des disettes n’était pas rare, il valait mieux avoir des réserves de gras… et donc, cette adaptation s’est amplifiée à la mesure de l’avantage qu’elle donnait à ceux qui réussissaient à survivre assez longtemps pour procréer et donner au suivant…

Aussi, au-delà du fait que nous avons besoin d’un minimum de sel dans notre alimentation, le goût pour les aliments salés peut s’expliquer par le fait qu’avant de pouvoir se servir d’une quelconque forme de réfrigération, nos ancêtres se servaient beaucoup du sel pour la conservation des aliments. Quant aux sucreries, elles sont pratiquement éternelles en terme de conservation et le sucre était bien pratique pour son apport rapide en énergie. Pensez-y, le plaisir que procure ce genre de mets ne représente aucun danger là où ces denrées sont rares. Cette rareté était la norme avant la révolution industrielle et cela l’est encore aujourd’hui dans les sociétés où l’offre alimentaire n’excède pas sciemment, contrairement à la nôtre, nos besoins de base. Sans oublier qu’un mode de vie plus en phase avec cette rareté, et surtout moins casanier, entraîne de lui-même une dépense d’énergie suffisante pour éliminer, sans effort, ce qui peut devenir excessif dans le nôtre. Et alors que notre mode de vie vient avec le désavantage de devoir mettre des efforts pour contrôler nos désirs, tout en ayant un tas de distractions et de responsabilités qui n’existaient pas auparavant, cela a entraîné une épidémie d’obésité.

La tyrannie de la subjectivité

Toujours en lien avec le problème de l’obésité, mais en lui portant une attention plus sociétale, voire psychologique, il apparaît que ce complot arrive aussi à déplacer notre perception des problèmes. Alors que ce problème était strictement considéré comme un problème de santé – qui s’accompagne bien sûr d’un lot de préjugés à ne pas sous-estimer -, il devient de plus en plus un problème moral lié à la discrimination, alors que de le considérer comme un problème de santé, même de la part d’un médecin, est identifié de plus en plus discriminatoire. Et ce qui l’explique, c’est que notre cerveau a tendance, en réaction à tout déséquilibre psychologique – ce que les sentiments et l’indignation devant les préjugés font -, à nous faire choisir ce qui rétablit l’équilibre. Ainsi, ce complot va jusqu’à nous convaincre que pour respecter la dignité des personnes obèses, en plus d’éviter les attaques directes et les attitudes blessantes envers ces personnes – ce qui va de soi et serait bien suffisant -, il faudrait aussi se rendre jusqu’à comprendre qu’il ne s’agit pas d’un problème de santé. D’ailleurs, les personnes obèses qui militent contre la grossophobie ont pour principal argument que leur excédent de poids n’est qu’une différence comme une autre. De cette manière, nommer quoi que ce soit qui aurait même un lien éloigné avec l’excédent de poids devient de moins en moins possible. Ainsi, cette problématique psychosociale trouve une réponse morale et nos valeurs tendent à s’aligner aux subjectivités, ainsi qu’à ce qu’elles entraînent.

Dans un même souffle, toute la puissance de ce complot se trouve illustrée par le fait que la justice semble aussi s’aligner à la subjectivité. Premièrement, je ne dois pas être le seul à constater que la liberté d’expression est attaquée de toute part. Et aussi, peut-être encore trop subtilement pour la plupart, nous pouvons constater qu’une conception vertueuse de la justice met toute son influence pour que le ressenti de discrimination soit préjudiciable. Quelle que soit notre opinion sur la cause Ward vs. Gabriel, il apparaît tout de même que le tribunal des droits de la personne ait fait avancer cette cause. On a reconnu la valeur d’un préjudice basé sur le ressenti du plaignant, parce qu’il se considérait victime d’une attaque personnelle, sur la seule base d’avoir été effectivement visé. Et cela, alors qu’on n’a visiblement pas tenu compte de la distinction essentielle à faire entre des propos tenus à titre personnel et des propos tenus dans le cadre d’une représentation humoristique. À mon sens, parce qu’il y avait au moins là un facteur objectif à prendre en compte, et que la justice devrait bien être objective, cela aurait dû peser plus fortement dans la balance que toute l’empathie et que toute la compassion que nous devons effectivement avoir, socialement, pour la peine d’un jeune handicapé. Si les décisions judiciaires servaient seulement à contenter les sentiments les plus populaires, quels qu’ils soient, rien ne nous protégerait alors contre une montée de la haine…

Plus largement, cette tendance à la subjectivité est à mettre en perspective avec le fait que, tout au long de l’histoire, la justice a tenté tant bien que mal de tendre vers l’objectivité, sinon d’en faire sa pierre d’assise, justement pour contrer le caractère arbitraire de la justice des systèmes monarchiques. Mais cette objectivité est toujours en déficit et cela est assez évident pour ce qui est de la délibération des juges : ils ont encore une bonne marge de manoeuvre subjective. Et cela se confirme dans leurs décisions : nous pouvons reconnaître assez facilement leurs penchants idéologiques même quand, contrairement à d’autres, ils ne sont pas clairement affichés. 

Si vous me suivez bien jusqu’ici, vous comprendrez que ce complot cérébral fait en sorte que de plus en plus le respect des personnes devrait aller de pair avec le respect de leurs idées, sentiments et émotions. Et cela, même si ce respect, en nourrissant le déni, peut amplifier les problèmes et même en créer de toutes pièces. Ne vaudrait-il pas mieux travailler en amont des problèmes et désamorcer cette tyrannie de la subjectivité, plutôt que de s’en laisser imposer par notre cerveau complotiste en mal d’adaptation? Pour ce faire, il faudrait d’abord nous rappeler que même si nous sommes tous conscients que le monde change rapidement, notre inconscient complote parce qu’il en est incapable. Il ne peut que réagir aux effets déstabilisants de la complexité du monde et cela, en faisant naître des sentiments que notre cerveau analytique peut ensuite heureusement pondérer, ou malheureusement amplifier. Dans ce dernier cas, cela peut aller jusqu’à construire une vision du monde qui semble tout à fait logique, mais qui ne sert qu’à justifier le chemin que nous font prendre nos sentiments.

Déjouer le complot

Heureusement, il y a moyen de déjouer ce complot avec l’éducation et l’entraînement. Mais pour y arriver, il faut premièrement reconnaître et déjouer sa tendance au déni, elle qui s’explique aussi par le fait que notre cerveau est programmé pour dépenser le moins d’énergie possible pour arriver à ses fins. L’évitement a évidemment un coût nul comparativement au fait de reconnaître un problème et tenter de le régler. Ainsi, parce qu’il est programmé pour assurer notre bien-être général, notre cerveau fait tout ce qu’il faut pour nous maintenir, à moindre coût, dans ce confort psychologique qui était la norme chez nos ancêtres. Voilà la raison qui fait qu’il tente entre autres de nous faire croire que la réalité devrait bien être autrement, plutôt que plus complexe qu’elle n’y parait. De cette manière, on peut voir un mensonge là où il y a une vérité partielle et perfectible. Notre cerveau complote pour nous convaincre que le problème est ailleurs parce qu’il n’a pas conscience de son incapacité adaptative : comment le pourrait-il? Et nous n’avons qu’à penser au recours de plus en plus grand aux antidépresseurs dans nos sociétés industrialisées, maintenant hyper connectées, pour comprendre à quel point la complexité du réel peut nous causer du tort et à quel point nos mécanismes de défense devant ce nouveau mode de vie peuvent nous faire souffrir. Mais surtout, jusqu’à quel point ce complot peut nous induire en erreur, et sur ce qui nous fait souffrir, et sur le choix des solutions pour calmer cette souffrance.

Si vous vous êtes rendu jusqu’ici dans votre lecture, j’espère que vous avez déjà compris que ce complot du cerveau était seulement une métaphore. Je me suis servi de cette personnification du cerveau pour essayer de vous faire comprendre que de faire la promotion de l’existence de complots a bien plus de chance de répondre à un besoin de croyances salvatrices, afin de rétablir l’équilibre psychologique, que de relever d’une recherche rationnelle de vérité. Évidemment, je m’en suis surtout servi parce que cela pose problème actuellement dans le contexte de la pandémie. Ces croyances tendent à provoquer des comportements qui, jusqu’à preuve du contraire, sont nuisibles au combat qui est mené. Cela, alors que nous devrions reconnaître qu’il est mené de bonne foi plutôt que de trouver dans son imperfection des raisons suffisantes pour justifier l’existence de complots. Par contre, il n’en demeure pas moins que l’on comble ce même besoin autrement et que cela pose aussi parfois problème pour ce qui est de la crise que nous traversons : que ce soit par la religion – et même trop souvent par la philosophie; par la spiritualité prête-à-porter, en kit ou « DIY »; par les pseudosciences du bien-être énergétique universel; par la partisânerie politique en général, mais particulièrement par les idéologies centrées sur les intérêts individuels ou sur une autorité morale qui devrait contraindre la collectivité; par la séparation forcée des humains par couleurs, par ethnie, par culture et par religion, pour donner raison à un instinct de conservation inadapté à la mondialisation; par les distributeurs du mérite exclusivement aux possesseurs d’un pénis – et exclusivement pour ceux qui le possèdent depuis leur naissance – comme par les théoriciennes de la victimisation qui pensent que cesdits possesseurs sont la cause exclusive du mal dans le monde; par les négationnistes de la réalité sexuelle – qui ne peuvent que voir dans cette réalité constituante et déterminante pour les rapports sociaux un effet discriminatoire, et qui ne peuvent pas voir qu’elle n’est pas nécessairement contradictoire avec les idéaux d’égalité, d’équité et de justice; par les entreprises de vente sous pression de la vertu – afin de mousser l’intérêt grandissant pour les compétitions de guerriers de la justice sociale, qui sont leurs ambassadeurs; etc.

L’intelligence vs le virus

Ainsi, toutes ces croyances agissent comme un antidépresseur pour quiconque ne tente pas au moins de déjouer les dictatures du cerveau. Et comme pour la prise d’antidépresseurs, que l’on voudrait assurément diminuer, voire éliminer, je voulais vous faire voir ici qu’il y a un autre moyen d’améliorer notre sort. Et ce moyen, c’est en plein ce que l’évolution nous a donné de plus performant pour nous adapter en temps réel : notre intelligence. Et si cette intelligence est bien apparue entre autres parce que les hominidés que nous sommes sont des animaux sociaux, il faudrait bien plus nous fier sur ce qui en a émergé de plus solide que sur la notion des droits individuels, celle-là qui amplifie cette tendance à plus nous faire confiance que de faire confiance à la science. Alors que, malheureusement, quant à ce qui est fait actuellement pour gagner le combat contre la COVID-19, la bien mince légitimité de vos réticences se trouve dans cet individualisme; que vous pourfendez assurément aussi, pour d’excellentes raisons, sans savoir qu’il vous contamine aussi.

Et si par chance je vous ai convaincu que le combat à faire est bien celui que nous faisons officiellement – tout en acceptant que ses zones d’ombres soient plus probablement le fait de l’erreur humaine que de sa turpitude -, il ne vous faudrait surtout pas oublier que ce combat est loin d’être gagné, et qu’il y en aura assurément d’autres si nous le gagnons. Malheureusement, notre nombre et surtout notre empreinte néfaste sur cette terre ont visiblement donné un avantage à notre adversaire viral. Et ce qui est d’autant plus effroyable, c’est qu’il est déjà un champion de l’évolution. Selon les recherches en génétique, il était là dès le début de l’aventure du vivant, sinon qu’il en a été le premier jalon. Quoi qu’il en soit, plus d’un dixième de notre bagage génétique est d’origine virale : il est en nous. Et cela ne nous protège aucunement. Aussi, ce qui joue contre nous, au-delà de l’avantage évolutif du virus qui repose sur son nombre incomparablement plus grand que le nôtre et sur sa capacité de transmission génétique grandement plus rapide, sa plus grande force est sa totale absence d’intelligence.

Si comme certains vous pouvez imaginer des complots mettant en scène des puces électroniques assez petites pour être introduites en même temps qu’un futur vaccin, vous pouvez imaginer des robots microscopiques faits de matériaux organiques qui ne peuvent qu’exécuter un programme, d’une simplicité désarmante, chaque fois qu’une cellule compatible a le malheur de les croiser : fabriquer une copie d’eux-mêmes avec les ressources de cette cellule, et ainsi de suite. Et ce qui est le plus effrayant pour nous, qui avons tendance à chercher la perfection partout, c’est que ce processus est imparfait. En effet, chaque copie occasionne des erreurs génétiques, et chaque erreur s’ajoute aux probabilités de mutations qui pourraient s’avérer dangereuses pour nous. Cela, alors que ces erreurs sont, ironiquement, le principal moteur de l’évolution du vivant. Et là où dans les limites de notre intelligence nous pouvons envisager de nombreuses options pour aboutir par l’inventivité à toute amélioration, il n’y a pour ainsi dire qu’une seule limite pour ces « robots ». Et c’est celle que les probabilités de mutations dangereuses pour nous ne sont tout de même pas infinies, puisque la coïncidence en réduit la possibilité. Et si toutes les mesures actuelles qui nous sont imposées ont une seule utilité directe devant ces probabilités de mutations (et bien sûr de contagion), c’est de réduire le champ des coïncidences.

Donc, si notre plus grande force reste tout de même notre intelligence, il ne faudrait pas qu’elle nous mène tout droit à notre perte. Et cela, parce qu’on aura trop perdu d’énergie et de temps à combattre un ennemi plus imaginaire que réel, et à combattre ceux qui déstabilisent la concertation essentielle à ce combat. Notre défaite serait alors le résultat de dommages collatéraux causés par la faiblesse de notre intelligence, puisqu’on l’aura surestimée en ne voyant pas qu’elle peut nous induire en erreur. Et surestimer la valeur de vérité de ses croyances est bien la principale erreur des prospecteurs et des promoteurs de complots.

Finalement…

Je terminerai cette lettre en exprimant le souhait que vous ayez au moins compris qu’il est plus probable que vous soyez dans l’erreur que le contraire. C’est tout ce que je peux me permettre, puisque je ne suis pas un vendeur de vérité et surtout, je n’ai pas pour but d’avoir raison. Sinon, je serais bien déçu qu’on interprète simplement cette lettre comme une attaque personnelle. Ou même qu’on l’interprète comme une entreprise de justification de la discrimination envers certaines personnes, ou envers certaines catégories de personnes, particulièrement ici les personnes obèses. Si j’ai utilisé l’exemple du problème de l’obésité, c’est qu’il m’offrait l’opportunité de montrer à la fois une incidence biologique et sociétale de la problématique plus large que je soulève. J’aurais pu choisir un autre exemple, mais le risque d’être mal interprété par d’autres aurait été le même. Sur ce, je réitère que même si j’ai identifié ici des problèmes qui peuvent mettre à mal les convictions intimes de certains et ce qu’elles ont de sacré pour eux, je me suis attaqué ici aux idées, seulement aux idées.

Cordialement, et en tout respect,

Renart Léveillé

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La COVID-19, la grippe et un raz de marée de doutes

En ce printemps qui commence, même si la fin du confinement semble se pointer le nez, sortir la tête de l’eau alors que nous sommes entraînés par un tsunami d’informations et d’avis sur la crise de la COVID-19 est loin d’être facile. Dans une situation qui sème autant le doute, le désir de s’accrocher à quoi que ce soit qui nous tombe sous la main tient du réflexe de survie. Et un des moyens pour ce faire consiste à faire des comparaisons. Nous pouvons constater que de se référer aux données sur la grippe semble être un bon moyen. Cela revient constamment, enfin, de mon bout de la lorgnette.

À mon sens, cependant, ce n’est pas un bon moyen, parce que la différence entre la COVID-19 et la grippe est trop importante. Cela revient à s’accrocher à quelque chose qui, au lieu de nous permettre de reprendre des forces pour ensuite rejoindre la terre ferme, nous entraîne vers le fond. Et au noeud du problème, il y a qu’on a tendance à tout ramener au doute et de ce fait à oublier ce que démontrent les faits scientifiques disponibles sur le COVID-19 et la grippe. Et la conséquence directe, c’est qu’ainsi on remet constamment en question, si ce n’est de le nier, le bien-fondé du confinement, alors qu’il faut qu’il soit le plus possible respecté pour donner un effet maximal. Alors que cette mesure a quand même été, bien sûr inégalement, appliquée partout dans le monde selon les conseils du milieu scientifique, ce qui aurait dû rassurer la très grande majorité des gens.

Malgré cela, on tire quand même des conclusions alternatives qui incitent à douter encore plus généralement des mesures mises en place pour contenir la pandémie. Alors que cela encourage certaines personnes à ne pas prendre au sérieux les règles et à ne pas adapter plus amplement leurs comportements que ce qui est directement imposé, par exemple dans les commerces qui sont toujours en activité. Aussi, cela a des répercussions dans le débat public. On en vient même à culpabiliser ceux qui respectent les directives et qui, de bonne foi, suggèrent des solutions pour les améliorer.

Ici, une question émerge. Celle à savoir s’il est moralement indiqué de se placer ainsi du côté des « collabos » de l’autorité. Chez ceux pour qui critiquer le système est une nécessité, la tentation de se placer du côté du doute est plus attirante et semble même plus logique. Pour douter du système et pour le critiquer, j’en suis, pas de doute. Mais pour pouvoir le faire en lien avec la situation actuelle, je pense qu’il ne suffit pas de critiquer en se basant sur le doute qu’inspirent des chiffres pigés ici et là. Il faut revenir à la base, à ce qui était déjà évident dès le début de la crise. Et si j’ai retenu quelque chose de mon humble apprentissage en science, c’est bien l’humilité : à défaut d’être spécialiste, il vaut mieux faire reposer notre opinion sur ce qui apparaît le plus solide; donc, sur ce qui a passé le test des débats entre spécialistes. Plus métaphoriquement, en l’absence de veste de sauvetage, il vaut mieux rester sur le rivage que de se jeter dans le courant…

Comparer une pomme à une orange

Pour bien voir le problème de comparer la létalité de la grippe et celle de la COVID-19, il n’y a même pas besoin de contre-argumenter en présentant des données chiffrées. Même que de le faire est contre-productif, il faut laisser de côté les chiffres pour avoir l’esprit clair. Allons au plus simple : le fait que les symptômes apparaissent beaucoup plus tard pour ce qui est de la COVID-19 que la grippe est suffisant. Ce qui signifie que, dans un contexte où il n’y aurait pas de confinement, le danger épidémiologique de la COVID-19 est plus grand que celui de la grippe.

En fait, c’est pour cette raison qu’il n’y a pas de confinement pour la grippe : les symptômes apparaissent rapidement, donc les gens infectés se confinent d’eux-mêmes. On ne se rend jamais jusqu’à une pandémie, en tout cas pour les grippes que nous rencontrons de nos jours. Oui, la grippe tue beaucoup de personnes et il serait tentant de se dire : pourquoi il n’y a pas de confinement pour la grippe, comme pour la COVID-19? C’est qu’une directive de confinement serait disproportionnelle par rapport au danger que représente globalement la grippe. Les campagnes de vaccination sont le mieux que les autorités de santé publique puissent faire. Et selon leurs conseils, le reste nous revient quand nous sommes dans un endroit public ou que nous en revenons : tousser au niveau du coude au lieu de mettre notre main devant la bouche, nous laver les mains, ne pas toucher son visage, etc.

Aussi, pour bien voir que la comparaison avec la grippe ne nous apprend pas grand-chose, il faut ajouter le fait suivant : il apparaît que le taux de mortalité est vraiment plus élevé pour la COVID-19, sans oublier que les complications qui accompagnent certains cas sont plus importantes et qu’elles représentent déjà un défi de taille pour le système de santé. Même si on le répète constamment, imaginons encore ce que ce défi serait, advenant que le nombre de cas graves excède la capacité des hôpitaux de les traiter. Il n’y a aucun besoin de regarder les chiffres pour justifier le bien-fondé d’un confinement rapide pour éviter une hécatombe, le risque parle de lui-même.

Et l’ironie dans tout ça, c’est qu’on se sert des chiffres obtenus pour ce qui est de la grippe dans un contexte de non-confinement pour douter du bien-fondé du confinement pour ce qui est de la COVID-19. Pourtant, si les chiffres sont assez bas pour semer le doute, c’est un résultat du confinement. Si la COVID-19 et la grippe étaient en effet semblables pour ce qui est de la période d’apparition des symptômes et du taux de décès, il serait très justifié de le remettre en question et je serais le premier à le faire. Par conséquent, baser son opinion sur une comparaison avec le nombre de décès liés à la grippe ne fait rien d’autre qu’induire en erreur sur le bien-fondé du confinement.

Le principe de précaution

Encore, il ne faut pas oublier que les connaissances scientifiques sur la COVID-19 sont moindres par rapport à celles sur la grippe, ce qui bien sûr peut nourrir le doute. C’est pour cette raison que le principe de précaution prévaut. Ce principe justifie lui aussi le confinement, même si à terme il s’avérait que, selon le pire des scénarios, les scientifiques se sont carrément trompés. Ici, il faut rappeler qu’il est tout à fait normal que les balbutiements d’une démarche scientifique soient plus en proie à du tâtonnement, à des erreurs et à des débats qu’un domaine de recherche plus abouti, comme celui qui concerne la grippe. Mais le problème qui se présente, c’est qu’il est possible de lire tout cela comme des preuves que le confinement n’est peut-être pas – ou n’est carrément pas – la bonne solution. Et si certains le font, cela démontre que le doute tend à faire oublier que le confinement est une solution basée sur ce que l’on sait de la COVID-19 et de sa différence avec la grippe, et sur le principe de précaution. Et on semble oublier aussi que si le confinement va autant de soi, c’est que ce principe repose sur une raison de santé publique et non sur une raison économique.

Voilà pourquoi, devant ce raz de marée d’informations et d’avis qui sèment autant de doute, je fais reposer mon opinion sur le principe de précaution. Donc, je n’ai pas tellement d’opinion, justement, si ce n’est d’opiner devant ce qui me semble le plus solide, soit ce qui ressort le plus des avancées scientifiques. Sinon, je constate que beaucoup trop de gens tentent seulement de sortir leurs têtes de l’eau plutôt que d’aller se réfugier sur la berge pour observer le mouvement de la débâcle, en attendant le retour à la normale. Tout cela, en étant conscient qu’il me serait aussi facile que n’importe qui de me retrouver en situation de noyade, tellement le flot d’informations est fort. Et je n’accuse pas ici les médias : il va de soi qu’en ayant à se concentrer sur cette crise ils nous inondent de tout ce qu’ils peuvent trouver, c’est leur raison d’être. Et je suis aussi conscient que si en plus je plongeais dans la vague des médias sociaux, où tous les moindres détails de cette crise mondiale sont analysés et suranalysés, j’aurais bien sûr autant de raisons que les autres d’être étourdi au point de faire du doute un idéal.

Douter même du doute

À mon sens, il faudrait bien plus douter du doute que du confinement. Et de toute évidence, nous sommes bien plus devant un doute romantique, gonflé par cet ego bien malmené par les temps qui courent, que devant un doute rationnel, pour ne pas dire cartésien. En guise d’aparté philosophique, en gros, il faut savoir que le doute cartésien ne repose pas simplement sur la recherche de raisons qui justifieraient une thèse ou une autre, mais sur un doute radical qui, après avoir tout remis en question, reconstruit méthodiquement une conclusion à partir de ce qui est clairement évident, et ainsi de suite. Or, actuellement, nous sommes surtout devant un doute qui se nourrit du désir de donner raison à maintes spéculations après avoir mis de côté ce qui, malheureusement, est le plus évident. D’un point de vue psychologique, il me semble que ce désir vient surtout du sentiment très normal de ne pas être à l’aise avec ce confinement, quand ce n’est pas carrément de l’anxiété. Et comme je suis anxieux de nature, je peux tout à fait le comprendre.

En conclusion, je vous offre bien gracieusement le bénéfice du doute : vous pouvez tout à fait remettre en question ma vision des choses. Mais si vous n’en êtes pas au point de penser que les spécialistes en épidémiologie mentent pour justifier un confinement qui aurait un autre but que d’empêcher une catastrophe de santé publique, il y a de l’espoir. Vous pourriez au moins voir que de remettre constamment en question le bien-fondé du confinement à un effet pervers sur le principe de précaution qui prévaut actuellement, parce que c’est le mieux à faire dans le doute. Sinon, j’espère qu’à partir du moment où le confinement serait complètement levé, vous pourriez enfin comprendre que le doute vous a bien mal-mené, et bien inutilement.

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Liberté religieuse et coronavirus


Rigolons un peu. Enfin presque.

En appelant à la fin des rassemblements religieux, la directrice régionale de santé publique de Montréal, Mylène Drouin, va-t-elle se faire traiter de raciste? Et Valérie Plante, puisqu’elle est d’accord?

Si on regarde les arguments qui permettent de traiter de racistes les gens qui sont pour la laïcité et/ou la sécularisation de la société, oui.

Donc, je veux et j’exige qu’elles soient traitées de racistes, par équité!

Liberté religieuse, santé publique et sécurité

C’est une boutade, mais plus sérieusement, si quelqu’un est raciste à partir du moment où il est pour une contrainte de la liberté religieuse, je ne vois quand même pas pourquoi cela ferait une différence quand il s’agit de santé publique. Nous avons bien vu que le super argument de la liberté de conscience a été maintes fois démontré étanche aux arguments de toutes sortes, même pour des raisons de sécurité, celles qui justement se rapprochent le plus de ce qui se passe actuellement avec la crise du coronavirus.

Pensons simplement à la levée de boucliers quand certains ont critiqué les éducatrices de garderie qui portaient la burqa ou à la controverse concernant le port du kirpan à l’école. La sécurité des enfants ne tient pas la route devant la liberté d’expression de sa religion. Sans oublier, pour les travailleurs sikhs, le droit de ne pas porter un casque sur les chantiers de construction, malgré un règlement loin d’être arbitraire…

Une question de vie ou de mort

On dira qu’en ce moment cela est une question de vie ou de mort et que c’est une situation exceptionnelle. Peut-être. Mais cela en dit beaucoup sur la place des règles et des lois en société, donc sur tout ce qui va à l’encontre de la liberté, en dehors du contexte exceptionnel actuel. S’il n’y a que les mesures, les règlements et les lois justifiés par des raisons de vie ou de mort qui soient vraiment défendables, autant dire que les autres n’ont aucune légitimité – ou une légitimité à géométrie variable selon le sujet.

Mais le problème, c’est qu’ainsi les mesures basées sur la discrimination positive ne sont pas plus défendables, puisque ce n’est pas une question de vie ou de mort d’encourager, pour le marché de l’emploi, l’égalité entre les hommes et les femmes, ni entre la majorité blanche et les gens « racisés ». Il est évident que l’idéal égalitaire – tout comme l’idéal laïque d’ailleurs – ne concerne pas des questions de vie ou de mort…

L’utilité des règles en société

Quand le problème du coronavirus sera réglé, il faudra qu’on ouvre honnêtement la discussion sur l’utilité des règles en société, ce qui impliquerait de mettre en veilleuse la primauté des individus et de leurs droits et libertés. Et cela, étant donné qu’il est impossible de trouver un équilibre là où une partie de ce qui est en jeu est considérée comme sacrée.

Sinon, nous continuerons à nous taper dessus à coups d’opinions intéressées et de théories partisanes qui ne sont que, parfois et par accident, dans l’intérêt de la société.

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La crise du COVID-19 et l’enjeu de l’immigration

Bien étrangement, la crise du COVID-19 nous éclaire sur certains enjeux sociaux, comme celui de l’immigration.

Prenons les réactions de nos premiers ministres. Il y a deux jours, François Legault demandait la fermeture des frontières alors qu’il critiquait Justin Trudeau, parce qu’il trouvait qu’il n’allait pas assez loin, assez vite. Tout cela, alors que les scientifiques s’entendent pour dire que le danger de propagation du virus est assez évident pour réduire au maximum le trafic international. Heureusement, alors que je m’apprête à publier ce billet, Justin Trudeau vient d’annoncer que les frontières seront fermées aux non-résidents canadiens. Alors, vous comprendrez que pour la suite il sera question de la position d’il y a deux jours…

L’appréciation du danger

Il y a un parallèle à faire avec les positions respectives de nos deux premiers ministres à propos de l’immigration. Legault prône en quelque sorte une plus grande fermeture des frontières alors que Trudeau prône une plus grande ouverture. On dirait bien que la différence entre les deux tient dans leur appréciation du danger, s’il est même permis de parler en terme de danger pour ce qui est du sujet de l’immigration. Mais je vais me le permettre, si ce n’est que pour la clarté de l’analyse, parce que, bien sûr, il serait malhonnête de mettre sur le même pied d’égalité le danger du coronavirus et les problématiques (culturelles, économiques, etc.) liées à l’immigration.

Selon que le danger soit plus ou moins évident, la différence d’appréciation entre nos deux premiers ministres montre quand même bien où ils logent. Alors qu’il est très évident avec la COVID-19, force est d’admettre que Legault réagit à la mesure du danger tandis que Trudeau y réagissait mollement. Il suffira de mettre un bémol sur le consensus scientifique pour trouver que le premier ministre du Québec allait trop loin et que celui du Canada avait la bonne attitude. Donc, si nous nous alignons avec les scientifiques, François Legault avait la bonne attitude à ce moment. Et si le simple fait que le Canada soit une plus grande entité politique que le Québec justifie l’attitude plus prudente de Justin Trudeau quant à la fermeture des frontières, cela montre aussi le problème inhérent à réunir des populations dans de plus en plus grandes entités politiques. La lenteur de la Chine à réagir, alors même qu’elle est autrement plus autoritaire que le Canada, en est une bonne illustration.

Le « danger » de l’immigration

Pour ce qui est du « danger » de l’immigration, qui ne fait visiblement pas consensus, il apparaît que leurs positions respectives sont semblablement différentes. François Legault ne demande pas une fermeture des frontières, mais un resserrement des règles, puisque justement, le « danger » n’a rien d’évident. Sa position est à la mesure de la reconnaissance, par certains spécialistes, des problématiques que crée la mondialisation et la mobilité accrue qu’elle entraîne, selon la réalité des disparités nationales. Et nous savons que Justin Trudeau ne voit aucun problème avec l’immigration, même qu’il en fait l’apologie. Sa position est à la mesure de l’idéal d’une planète mondialisée, postnationale, où il ne resterait des identités nationales que leurs parts culturelles, plus ou moins individuelles, mais surtout débarrassées du lien territorial. Mais là où le bât blesse, c’est que leurs positions respectives sont décrites différemment selon les opinions sur l’immigration.

Si nous prenons les deux extrêmes, ceux qui ont un préjugé favorable ou défavorable envers l’immigration, les premiers considèrent que François Legault est raciste et/ou xénophobe, alors que les deuxièmes trouvent qu’il ne va pas assez loin, comme on considérera que Justin Trudeau est un exemple d’ouverture ou un danger… Et si nous retournons à notre comparaison avec la crise du COVID-19, les deux extrêmes s’alignant ou non au consensus scientifique, on jugera que François Legault fait ce qu’il y a à faire ou qu’il participe à l’hystérie collective, si ce n’est qu’il participe à ce qui se joue au-delà des apparences, pour les plus conspirationnistes d’entre eux. Quant à Justin Trudeau, on jugera qu’il n’en faisait pas assez ou qu’il en faisait trop. Pourtant, pour ce qui est de la comparaison entre la crise actuelle et l’immigration, il ne s’agit que de degrés différents quant à l’évidence du danger. Si François Legault fermait complètement les frontières du Québec à l’immigration, il y aurait de bonnes raisons de penser qu’il est raciste/xénophobe puisqu’il irait trop loin, par rapport à l’évidence du danger. Alors qu’il est déjà bien évident que Justin Trudeau fait de l’angélisme par rapport à l’immigration et qu’il nie la réalité des problématiques inhérentes au multiculturalisme, alors qu’il est simplement impossible que tout se passe absolument bien quand des individus avec des héritages immensément différents se rencontrent sur un même territoire. Et de le nommer ne relève aucunement de l’opinion.

L’évidence et la nuance

Sinon, ce que cette comparaison avec la crise du coronavirus fait ressortir, c’est que moins un danger est évident, plus la nuance est difficile à voir, alors que plus un danger est évident, plus la nuance est difficile à justifier. Et c’est ce qui fait qu’on a tendance à voir la position de François Legault sur l’immigration comme étant trop ou pas assez fermée, alors que, si on accepte le fait qu’il existe une problématique liée à l’immigration au lieu de voir dans ce fait un aveu de racisme/xénophobie, elle semble assez bien alignée à la réalité. Il devient ainsi plus facile de voir que le fait de vouloir réduire le nombre d’immigrants pour mieux les intégrer n’a rien à voir avec la fermeture, et d’esprit, et des frontières : ce n’est qu’une solution parmi tant d’autres possibles. Et c’est ce qui fait que la position plus nuancée de Justin Trudeau, par rapport à la crise du COVID-19, était difficile à justifier, puisque l’évidence du danger commande une réaction sans ambiguïté.

Alors, si je demande habituellement plus de nuance dans les débats, pour ce qui est de la crise actuelle, j’en demande moins. La nuance y est assurément contre-productive.

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Pour un mode de calcul proportionnel mixte avec prime au pourcentage

Dans l’optique où le Québec semble être sur le point de changer son mode de scrutin pour un système plus représentatif du vote populaire, soit pour un mode de scrutin proportionnel mixte, nous pouvons espérer que nos élus prendront une décision dans ce sens très prochainement. Mais nous pouvons aussi constater que les solutions pour y arriver semblent avoir plusieurs défauts. Entre autres, elles demandent des changements en profondeur du système démocratique. Par exemple, il est proposé de réserver une partie des circonscriptions pour les répartir aux partis selon le pourcentage du vote populaire, ce qui pour certains mettrait à mal la légitimité de cette députation imposée envers les circonscriptions choisies pour ce faire. Et pour ce qui est du sujet de la proportionnalité en tant que telle, selon les points de vue de différents commentateurs et d’acteurs politiques, ces propositions donneraient des résultats plus ou moins satisfaisants. Et le risque qui devrait nous sembler évident, c’est que cela pourrait faire en sorte que cette démarche de réforme aboutisse à un non-lieu.

Un mode de calcul plutôt qu’un mode de scrutin

Pour répondre à ce problème, j’aimerais proposer un nouveau système, inventé par mes soins, qui n’est pas à proprement parler un mode de scrutin, mais plutôt un mode de calcul. Et ce qui serait nettement appréciable avec cette solution, c’est qu’elle n’occasionnerait aucun changement pour la population lors des élections. Le mode de scrutin actuel demeurerait en place et ainsi, nous pourrions profiter encore de sa simplicité de fonctionnement et du fait qu’il nous est habituel. Et encore, pour ce qui est la légitimité démocratique de la députation, nous pourrions encore nous appuyer, mais en partie, sur celle que leur octroie la concentration des votes par circonscription. Mais, pour contrebalancer le fait que la légitimité de la députation permet actuellement de légitimer le parti au pouvoir, ainsi que sa majorité, je propose avec mon système de l’équilibrer avec le pourcentage du vote populaire, comme le propose tout mode de scrutin proportionnel mixte, mais en passant par d’autres moyens. Donc, cela se ferait en aval, dans le cadre du système parlementaire actuel, où il faudrait comptabiliser les votes en chambre selon différentes valeurs, alors qu’elles seraient modulées selon un calcul qui additionnerait la valeur traditionnelle d’un vote par circonscription à celle de la valeur d’une prime proportionnelle. Ce qui fait qu’en comparaison avec les autres propositions sur la table, ce système serait beaucoup plus simple à appliquer et à comprendre, autant pour les instances démocratiques, les acteurs politiques que pour les électeurs.

Une répartition équitable entre les pourcentages des sièges et du vote populaire

Donc, comme vous pourrez le constater dans mon tableau – qui se base sur les résultats de la dernière élection -, ce calcul s’appuie sur le nombre de votes correspondant au nombre d’élus, soit 125 votes, mais en y additionnant la valeur de la prime, pour arriver à la moyenne. Autrement dit, chaque vote, correspondant à un siège, a une valeur d’un point et, en guise de compensation, cette prime s’ajoute équitablement à chacun des votes, selon le pourcentage du vote populaire correspondant à chaque parti. Ainsi, plus de points vont aux partis qui ont obtenu un pourcentage plus élevé au résultat du vote populaire qu’au résultat des votes par circonscription. De cette manière, en tenant compte de cette prime, bien que le gouvernement caquiste soit majoritaire avec 74 sièges sur 125 (59.2% des votes en chambre), alors qu’il a obtenu 37.42% du vote populaire (pour un gain de 21.78% – en plus des avantages de gouverner avec une majorité), son pourcentage tomberait à 48.31% (pour une baisse de 10.89%). Mais comme vous pouvez le constater, bien que ces chiffres montrent que la CAQ ne serait majoritaire qu’en terme de nombre de sièges, le pourcentage des partis d’opposition est à 49.38%, donc qu’ils ne sont pas non plus en situation majoritaire, mais seulement en situation d’avantage. La raison en est que 4.6% des votes comptabilisés ne sont pas allés aux quatre partis ayant obtenu des sièges et qu’ils n’ont pas été ajoutés à la prime. Donc, cela montre que la différence entre la CAQ et l’opposition en terme de pourcentage n’est que d’un point et des poussières, donc que ce calcul est, pour la CAQ, moins désavantageux qu’il n’y paraît.

Ceci dit, cette partie du calcul serait utile pour mesurer le poids du vote partisan, donc pour comptabiliser les résultats concernant le poids global de chaque parti et pour soustraire de ce poids la valeur des votes des députés absents lors des votes en chambre. Mais à la base, j’ai conçu ce système dans l’optique où le vote dans le sens de la ligne de parti serait consentant, parce que je pense que cette idée de ligne de parti est pour le moins anti-démocratique. Bien sûr, il faudrait que les règles soient modifiées pour permettre ce consentement et que ces votes soient tenus secrets, pour éviter toute pression indue. De cette manière, le choix de suivre la ligne de parti serait entériné par la majorité des élus avant chaque vote en chambre. Et dans le cas où ce choix n’irait pas dans le sens de cette ligne, donc pour un vote non-partisan, une autre méthode de calcul entrerait en jeu. Dans ce cas, la prime de tous les élus serait attribuée au chef, alors que chaque député pourrait voter, selon sa préférence, avec son vote d’une valeur d’un point. Par exemple, les votes des députés caquistes auraient une valeur de 73 points, comparativement aux 120.77 points cumulés du parti, soit 60.44%. Alors que le vote de François Legault aurait une valeur de 47.77 points, en comptant son point obtenu comme député élu, ce qui lui donnerait 39.55% des points. De cette manière, la légitimité démocratique des votes serait partagée en deux : celle du vote pour lequel les députés ont été élus séparément dans leurs circonscriptions leur reviendrait de droit et celle du vote populaire reviendrait de droit à François Legault. Mais même si nous pouvons remarquer qu’il y a un net désavantage pour lui, il n’est pas dit que la totalité des votes de ses députés irait à l’encontre de son vote et il pourrait potentiellement être encore réduit si un ou plusieurs partis d’opposition votaient dans son sens ou choisissaient aussi un vote non-partisan.

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Une légitimité démocratique accrue

Donc, si le but de changer pour un mode de scrutin proportionnel mixte est bien de donner plus de poids aux partis d’opposition, particulièrement aux petits partis, l’avantage le plus évident avec ce système, c’est qu’en plus de permettre cette proportionnalité, il permettrait aussi de donner plus de poids à la légitimité de la députation, ainsi qu’à chaque député pour qu’ils puissent s’exprimer librement dans le cas d’un vote non-partisan. Alors qu’en contrepartie, pour ce qui est du parti au pouvoir, le fait pour la députation de prendre une décision avant chaque vote en chambre réduirait le danger de dilution constante des votes, ce que donnerait évidemment tout système octroyant d’office le vote non-partisan (et ce pour quoi il n’est pas proposé ici). Et encore, ce processus d’actualisation de la ligne de parti par la députation aurait un avantage non négligeable pour ce qui est de l’opinion publique : il réduirait l’impression qu’un vote partisan ne l’est qu’en apparence, comme c’est le cas actuellement. Aussi, cela aurait un avantage pratique pour la députation, soit celui de renouveler constamment sa confiance envers son chef et son parti. Et tout comme cela pourrait renforcer d’autant la confiance générale envers notre démocratie, à l’encontre du cynisme ambiant. Et, sait-on, cela pourrait faire augmenter le taux de participation aux élections.

En conclusion, je pense que ce système serait un très bon outil démocratique. Et parce que c’est la démocratie qui m’importe le plus, je considère cette méthode de calcul comme une proposition ouverte, et aux critiques et aux propositions, dans le but de l’améliorer ou d’en proposer une meilleure. D’ailleurs, dans le cas d’un vote non-partisan, concernant la légitimité démocratique du poids des votes pour chacun des députés en chambre, je propose déjà de les moduler selon les résultats dans leurs propres circonscriptions. Mais il resterait encore à trouver le meilleur moyen de calculer cette modulation. Aussi, si ce système s’avérait contre-productif dans le cas où les projets de loi du parti au pouvoir seraient majoritairement freinés par l’opposition – ce qui de toute façon semble être un risque pour tout système proportionnel mixte quand un parti ne se retrouve pas pleinement au pouvoir à la suite d’une élection -, il resterait encore à trouver un moyen de pallier ce problème. Mais déjà, nous pouvons soupçonner que les démarches qui sous-tendent les projets de loi auraient plus tendance à viser les consensus avec un système du genre. Sinon, je pense par exemple à une règle qui permettrait aux partis d’opposition de travailler ensemble sur leurs propres projets de loi, selon une réglementation et des ressources ajustées à leur légitimité démocratique. Et si nous prenons les résultats de la dernière élection, et si cette réglementation et ces ressources étaient proportionnelles à ce calcul, l’opposition en hériterait de la majorité. Ne serait-ce pas légitime dans un système démocratique?

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Ève Torres, Notre-Dame-de-Paris et laïcité


J’aimerais ici dresser un portrait de la question de la laïcité. Et cela, en lien avec ce qu’il y a de représentatif dans le commentaire « ironique » de l’ex-candidate solidaire Ève Torres, qui a fait un rapprochement entre l’incendie de Notre-Dame-de-Paris et la laïcité française. Alors que force est d’admettre que son message est qu’il serait contradictoire que les Français, puisqu’ils ont démontré que le symbole de Notre-Dame-de-Paris est important pour eux, ne respectent pas avec leur laïcité l’importance des symboles religieux pour les croyants. Et qu’en conséquence de quoi, les Français – mais surtout les Québécois! – devraient amplement mesurer l’importance de la symbolique pour les individus et les collectivités, et donc abandonner le pan restrictif de la laïcité envers les symboles religieux. Malheureusement pour Ève Torres, il suffit de prendre la pleine mesure de ce qu’implique son rapprochement à propos de cet aspect symbolique pour trouver d’autant plus ironique qu’une telle idée ait pu germer…

La relativité de l’importance

En première instance, posons que ce rapprochement entre Notre-Dame-de-Paris et la laïcité française à propos de l’importance de l’aspect symbolique est légitime, tel qu’il est présenté, mais sans lui adjoindre sa conclusion. Alors, nous pourrons aussi poser son contraire, ce qui les éloigne, et donc tenir aussi pour acquis que l’importance de l’aspect symbolique est relative, puisque cette importance est différente pour chacun. Pour me prendre en exemple, bien que je comprenne et respecte que le voile et Notre-Dame-de-Paris soient d’une grande importance symbolique pour certains, ce n’est aucunement mon cas. Ensuite, de la même manière, nous pouvons ajouter l’importance relative de l’aspect expressif de ces symboles, ce qui pousse certains à penser qu’il est essentiellement important d’exprimer symboliquement sa foi en public ou à considérer que le symbole de Notre-Dame-de-Paris ne devrait pas disparaître du paysage parisien, alors que pour moi ce n’est aucunement important. Et il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas admettre qu’il en est de même aussi pour beaucoup d’autres, et que cela a aussi son importance.

Dans un sens, cette vision des choses ne devrait pas déplaire à Ève Torres et à tous ceux qui se disent inclusifs, puisqu’elle « inclut » l’importance de la diversité des opinions à propos de l’importance de l’aspect symbolique, mais la suite leur déplaira assurément. Pour dire vrai, j’ai fait ressortir cet aspect relatif que pour montrer que l’importance de la symbolique ne fera jamais l’unanimité absolue et donc qu’un tel critère de subjectivité ne pourrait servir d’appui pour arguer que la laïcité serait injuste. Et justement, parce que la légitimité laïque se trouve au-delà de l’importance qu’a la religion et ses symboles pour les gens et la collectivité. Et par le fait même, au-delà de toute « tyrannie de la majorité » qui légitimerait une laïcité qui irait dans un sens ou dans un autre pour respecter ou non cette importance, envers les uns, envers les autres ou envers tous. Dans ce contexte, pour juger que la laïcité à la française est illégitime, il faudrait s’appuyer sur un critère autrement plus objectif.

Rendus ici, nous pouvons arriver à la conclusion qu’il est relativiste de juger que l’importance qu’a Notre-Dame-de-Paris pour les Français entre en contradiction avec sa laïcité. Alors que dans les faits, il faut comprendre que la logique laïque, par rapport à l’évacuation du fait religieux de la sphère civique, est d’évacuer toute considération quant à l’importance de ces symboles pour les gens, autant pour ceux qui les trouvent importants que pour ceux qui ne les trouvent pas importants. Malheureusement, certains, comme Ève Torres, semblent penser que cette laïcité privilégie ceux qui ne donnent aucune importance aux symboles, ce qui rend ironique le trauma français quant à l’incendie de Notre-Dame-de-Paris.

L’importance comme nécessité première

Ce qui précède montre tout à fait bien la confusion quant au sens de la laïcité, alors que cela fait ressortir les raisons qui font que certains comprennent la contrainte laïque envers le port des signes religieux comme une promotion indirecte de toutes sortes de convictions. Que ce soit pour celles des convictions antireligieuses des athées ou pour celles des convictions anti-religions étrangères des catholiques. Ou encore, pour les valeurs morales de la majorité ou, plus ironiquement, pour les valeurs laïques, alors que cesdites valeurs ne se résument qu’aux raisons qui sous-tendent la légitimité de la laïcité de l’État du point de vue de la citoyenneté. En fait, la promotion des valeurs laïques ne se fait jamais indirectement, mais seulement directement quand cela est légitime. Donc, soit pour participer à convaincre que cette laïcité devrait être effective comme au Québec, ou, si elle l’est comme en France, pour prendre sa défense quand elle est remise en question.

Ainsi, à partir du moment où on comprend seulement la contrainte laïque sur le port des symboles religieux comme une négation de certaines convictions et une promotion indirecte d’autres convictions, on peut très bien penser que cette importance est un critère probant pour conclure que la laïcité est injuste et inéquitable. Mais le problème, c’est qu’il faut pour cela croire que cette importance est une nécessité. Donc, qu’elle imposerait nécessairement son propre respect en tout temps et en tout lieu, alors qu’a contrario il ne serait aucunement nécessaire de tenir compte des avis contraires, puisqu’ils contredisent cette nécessité! Et c’est ce qui fait qu’Ève Torres ait pu ironiser à ce propos, puisqu’en effet de ce point de vue la laïcité contredit cette nécessité première, alors que de même l’importance que donnent les Français au symbole de Notre-Dame-de-Paris semble aussi une nécessité première.

Une ironie qui se retourne comme un gant…

Or, le problème avec cette ironie, c’est que si cette nécessité première réussit à légitimer le port des signes religieux, elle pourrait tout aussi bien légitimer la laïcité. Comment pourrait-on rejeter l’argument que la laïcité est une nécessité première, puisqu’elle a été assez importante pour que les Français lui donnent valeur de loi? Donc, la laïcité à la française pourrait s’appuyer sur la même logique de nécessité, soit sur l’importance d’évacuer les symboles religieux de la sphère civique. Et on pourrait tout autant défendre cette importance en arguant qu’il n’est pas nécessaire de tenir compte des avis contraires, puisqu’ils contredisent cette nécessité.

Comment pourrions-nous, sur cette base, trancher quant à la primauté des convictions religieuses sur les autres convictions? Je pense que notre débat souffre depuis trop longtemps de cette ambiguïté, alors qu’il faut l’avouer, elle se retrouve aussi du côté de ceux qui défendent la laïcité. Pensons à n’importe quel argument reposant sur l’importance que l’on donne à certaines valeurs, comme l’égalité homme-femme, alors qu’en effet le port du voile la contredit selon une perspective morale qui fait de plus en plus consensus au Québec. Le problème avec l’argumentaire qui concerne l’égalité homme-femme, c’est qu’il ne concerne pas les prérogatives de la laïcité, pour qui la contrainte n’est jamais seulement envers le voile, mais envers tous les signes religieux. Donc, en voulant défendre avec elle directement la valeur de l’égalité homme-femme, on pervertit cette contrainte pour en faire une solution symbolique, par la négative, afin de magnifier cette valeur. De plus, cela participe au préjugé que la laïcité fait la promotion des convictions et des valeurs, ce qui donne des munitions pour les défenseurs de la laïcité dite ouverte, et d’où le problème que l’on voyait à ce que le PQ nomme sa charte de la laïcité « charte des valeurs »…

Une importance démesurée

En conclusion, il faudrait peut-être songer sérieusement à emprunter un autre chemin pour régler cette question, puisque même l’application de la loi caquiste ne pourra visiblement la régler. Même que cela pourrait l’amplifier, visiblement, étant donné le traumatisme qu’elle provoque déjà, avant même d’être appliquée. D’autant plus que les gros canons de la fédération canadienne n’attendent que de tonner avec leurs arguments basés sur la primauté de la liberté de religion qui, parce qu’elle repose sur la supposée nécessité première de respecter cette liberté, revient tout à fait au même que ce que l’ironie d’Ève Torres laisse entrevoir. Sans oublier que cette conception de la liberté de religion s’accompagne de la primauté de l’expression des convictions religieuses sur la liberté d’expression en général. Alors que le poids de toutes ces nécessités nourrit le sentiment d’injustice envers la laïcité et surtout l’indignation qui s’en suit, qui mine le terrain du débat.

D’autre part, si on analyse encore plus en détail cet enjeu de l’importance symbolique, on trouve la religion comme fait social hautement constituant et fondamental. Et ce qui apparaît, c’est que la religion considère comme une nécessité première l’importance de l’aspect symbolique (et rituel) qui la concerne, alors que cette nécessité va de soi pour les croyants. Si cela ne concernait que leurs convictions personnelles, je n’y verrais pas de problème. Les croyants sont dans leur droit de considérer leurs rituels et leurs symboles religieux hautement importants et je respecte ce droit. Sauf que depuis que les religions servent de légitimité pour le pouvoir, elle a une importance démesurée qui se répercute sur la société à travers les moeurs, la morale et la politique. Alors que justement, le but de la laïcité est de contrebalancer cette importance, en évacuant la religion de la sphère politique, soit de l’État et de la sphère civique. Mais le plus important, c’est qu’elle le fait sans pour autant l’évacuer de la sphère sociale (les sphères publiques et privées), donc sans nier les convictions personnelles des croyants. Alors que, s’il faut le rappeler, sa contrainte n’a d’effet que pour l’expression des convictions religieuses dans la sphère civique.

En somme, pour arriver à nous dégager du sable mouvant dans lequel nous sommes empêtrés avec ce débat, et avec tous les autres qui ont un lien plus ou moins direct avec la religion, il serait grand temps de diminuer son importance sur la société. Et cela, étant donné que la religion est une contingence, déguisée en nécessité par les soins d’Ève Torres et de tous ceux dont la vision du monde participe à l’entretenir, alors que cette nécessité se fonde sur une primauté démesurée des libertés individuelles et des droits qui en découlent.

Alors qu’à mon sens, ce qui devrait être fondamental pour tous, c’est que nous devrions être en droit de ne plus nous la faire imposer contre notre gré. Justement là où l’importance que chacun porte à la religion n’a rien à y faire, sinon d’imposer cette vision du monde.

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