Bernard Drainville fait la promotion d’une pétition pour le retour du crucifix à l’hôpital St-Sacrement de Québec, fondé en 1927 par la congrégation des Soeurs de la Charité.
Pour quelqu’un qui se targuait d’avoir concocté une charte laïque et non de viser seulement les symboles religieux autres que catholiques avec elle, sous le couvert d’un impératif patrimonial et historique, c’est loin d’être logique.
Ça donne le goût de ramener un de ses arguments forts pour interdire particulièrement le port du voile pour les employés de l’État. Il donnait l’exemple fictif d’un musulman homosexuel qui se retrouverait, dans un centre de santé sous l’égide de l’État, devant une professionnelle voilée. Il arguait avec raison, à mon sens, le malaise du citoyen. Bernard Drainville disait que l’apparence de cette femme pourrait donner à penser à cedit citoyen qu’elle pourrait juger négativement son orientation sexuelle, entre autres, pour montrer un des bienfaits de la neutralité représentative qu’il défendait avec sa charte. (L’expression « neutralité représentative » vient de moi, mais elle dit bien ce qu’elle a à dire…)
Donc, le malaise. Ce qui se défend très bien dans l’optique où le citoyen, selon ma vision de la laïcité, n’a pas à se trouver devant quelconque élément chargé symboliquement avec lequel il ne serait pas d’accord ou inconfortable, dans son rapport avec l’État. Alors, prenons le même argument, mais transformons-le à la sauce catholique. Pensons à un autre citoyen fictif, qui fréquenterait l’hôpital St-Sacrement de Québec. Il aurait vécu une situation traumatisante avec un membre du clergé étant jeune, ce qui est loin d’être fictif au Québec… En plus, rajoutons que cet homme ne peut pas s’empêcher de penser à cette situation chaque fois qu’il voit un symbole relié au catholicisme. Bernard Drainville pourrait-il avoir autant d’empathie laïque pour cet homme, alors que celui-ci verrait d’un très mauvais oeil le possible retour du crucifix dans l’hôpital qu’il fréquente?
Voilà à quoi l’argument patrimonial se bute. Tout comme pour l’argument essentialiste qui dit qu’un signe religieux, dans l’espace civique, est plus important – pour la personne qui le porte ou l’institution qui l’exhibe sur ses murs – que la réaction hypothétiquement négative de l’ensemble des citoyens envers qui l’État est redevable. On pourrait tenter de réduire cette réaction négative à la plus basse morale, comme la xénophobie religieuse ou même encore pire, le racisme, mais à la base l’État n’a pas à juger de la teneur des malaises. Plutôt, de faire en sorte de les réduire le plus possible à la source en ayant une apparence de neutralité, pour accompagner ce qu’on attend de l’État comme neutralité dans le traitement. Et s’il faut l’ajouter, les raisons d’avoir des réactions négatives devant les signes religieux comprennent aussi et surtout, espérons-le, des opinions en lien avec la justice sociale.
Mais revenons à l’argument essentialiste, dont se sert l’argument patrimonial, même si ceux qui s’en servent réussissent à pourfendre l’argument essentialiste quand il sert à défendre ce qui est en dehors du patrimoine catholique… S’il est essentiel que le patrimoine religieux catholique ait sa place dans les institutions comme les hôpitaux et l’Assemblée nationale, pour entre autres faire plaisir à ceux qui ont à coeur ce patrimoine, il devrait en être de même pour ceux qui ont tellement à coeur leurs convictions religieuses qu’ils doivent l’exhiber même quand ils travaillent pour l’État. C’est une question de logique. Encore plus une question d’équité.
Si la laïcité est comprise et admise comme excluant les signes religieux de toutes les religions, autant sur les gens que sur les murs, elle ne devrait pas octroyer des privilèges, des « accommodements raisonnables», à celle qui rejoint le plus grand nombre, au nom du patrimoine. D’autant plus qu’il n’est question que de la sphère civique : la sphère publique continuera de magnifier ce patrimoine. Et si la laïcité est finalement comprise et admise comme incluant les signes religieux de toutes les religions, autant sur les gens que sur les murs, ne nous surprenons pas de voir dans le futur s’amplifier cette guerre qui est déjà en cours pour gagner des territoires symboliques. Ce qui grugera aussi, à terme, toutes les avancées sociales de la sécularisation.