
Capture d’écran de YouTube – AFP BB NEWS
Dans l’ordinaire surgi parfois l’extraordinaire et le contraste qui en résulte peut donner le haut-le-coeur.
Au rythme des cahots qu’offre généreusement l’asphalte craquelé et troué par cet hiver bipolaire, ma radio d’auto me parlait comme à son habitude. C’était « Les éclaireurs », à Radio-Canada. Un sujet vint s’offrir, léger, même réjouissant selon l’animatrice Sophie-Andrée Blondin, mais finalement lourd comme une brique dans l’estomac.
Il était question des anges-poupées, une nouvelle mode thaïe, inspirée par un rituel ancien de magie noire qui consistait à soi-disant enfermer l’âme d’un mort-né dans une statuette en bois. Donc ces poupées sont bénies par des moines bouddhistes et elles seraient ainsi investies d’un ange gardien et il serait bénéfique pour les femmes les possédant (le chroniqueur qui présentait le sujet ne parlait que de femmes) de les traiter comme de vrais enfants.
Elles les trimballent en poussette, les traînent avec elles dans leurs activités de tous les jours et même les amènent avec elles en vacances. Des entreprises de service ont flairé le bon coup et on leur offre des services de coiffure, des places attitrées dans les avions et des menus pour elles dans certains restaurants…
L’autre sujet de ce chroniqueur, Renaud Dubus, présenté comme étant moins réjouissant, avec raison, était une publicité pour un produit de blanchiment de peau où une Thaïlandaise à la peau très claire disait : « il faut être blanche pour gagner ». Au-delà du danger réel pour la peau, l’existence de ce produit et le fait qu’il comble un besoin, repose sur un trait culturel, un préjugé favorable à la peau très blanche, qui était expliqué comme suit :
la clarté est associée au bien moral, à la beauté, alors que le caractère foncé, la noirceur, est associé au mal, à la perversité et même à la laideur
Et le comble, un lien avec le bouddhisme (qui est bien plus une religion qu’une philosophie, et ce qui suit va bien vous le prouver) :
Il y a un élément bouddhique dans tout cela qui est la loi du karma. Les actions méritoires ou déméritoires des existences antérieures selon cette loi modèlent notre aspect physique dans la vie présente. Et donc avoir la peau foncée, en tout cas dans l’esprit thaïlandais, c’est avoir commis des actions mauvaises dans sa vie précédente.
Par chance, le chroniqueur est venu me servir, en guise de conclusion pour cette partie de chronique, un médicament anti-nauséeux :
Mais en fait, l’élément dominant est plutôt social. Tout simplement, les gens des campagnes, ceux qui travaillent dans les rizières, sont habituellement méprisés, et ils ont la peau brûlée par le soleil. Alors qu’en revanche les gens des villes incarnent la réussite sociale et eux ont la peau plus claire tout simplement parce qu’ils ne travaillent pas en plein air.
Toute culture n’est pas bonne
Il y a dans ce que je viens de vous présenter tous les éléments requis pour vous prouver que la culture, inspirée, en partie ou non, de la religion, n’est pas toujours respectable et qu’elle mérite alors qu’on la pourfende, même si on risque de passer pour intolérant.
Bien que l’exemple de la crème pour la peau soit plus clairement propice à l’indignation, les anges-poupées ne sont pas pour autant inoffensifs. En arriver à un gaspillage de ressources comme celui-là, surtout un gaspillage de nourriture (alors que la malnutrition touche évidemment la Thaïlande), c’est pour le moins absurde, sinon répréhensible éthiquement, autant pour l’entreprise qui y participe que pour la croyante en son ange-poupée.
Et pour ce qui est de tout ce système de croyances qui banalise la discrimination par rapport à la couleur de la peau, il repose, tout comme le phénomène des anges-poupées, sur l’irrationnel. Et il faut voir que cette irrationalité, déguisée en culture, sert de paravent pour la rationalité, celle que le chroniqueur détaillait en expliquant la différence entre « les gens des villes » et « les gens des campagnes », ainsi que le mépris des uns envers les autres, ce qui bien sûr encourage l’envie des méprisés, d’où la popularité des crèmes blanchissantes. Dans ce cas, il faut constater que la culture (et la religion) sert à donner bonne conscience au mépris, qui peut être ainsi relégué à l’inconscient et célébré par l’hypocrisie de la spiritualité.
Il en va de même pour toutes les cultures qui reposent sur des superstitions, quand elles inscrivent dans leurs moeurs des discriminations acceptées officiellement. Et par superstitions, il faut bien y voir aussi et surtout la force des religions. Si l’utilité des religions est de trouver un sens à la vie, individuelle et collective, on voit bien avec l’exemple plus haut qu’elles réussissent aussi à trouver un sens utilitaire pour maintenir les inégalités et les iniquités, pour magnifier ce que l’aventure humaine a de moins reluisant : la loi de la jungle.
Ce qu’il faut comprendre et retenir de tout ça, c’est que la liberté de religion (et la liberté culturelle) ne devrait pas bénéficier d’une protection légale ni d’une acceptation sociale quand elle dessert manifestement le progrès social, en banalisant le rejet des individus sur la base de traits génétiques, physiques, de genre et même de croyances religieuses, quand ce dernier aspect ne fait pas partie du problème structurel à combattre.
Et au-delà de la problématique négative, il faut aussi combattre ses manifestations plus anodines, puisqu’elles sont le lubrifiant qui rendent l’inacceptable acceptable, par accoutumance, pour ceux qui sont pris dans la dynamique culturo-religieuse, et par acculturation, pour ceux qui en sont extérieurs, avec l’aide de l’exotisme.
Pour arriver à dénier l’absurdité d’un ange-poupée qui se retrouve attablé devant de la vraie nourriture alors qu’assurément des gens crèvent de faim pas très loin de là, il faut tout un système de croyances autour pour hypnotiser la raison. Pour arriver à rendre normal le désir de se blanchir la peau, il faut toute une culture, avec ses habitudes anodines et ses rites innocents, légitimés ou non par la religion, pour consentir avec joie à une pratique dangereuse pour ceux qui ont les moyens et discriminante pour les autres qui se retrouvent encore plus dans le camp des laissés-pour-compte.
Comme on le voit, toute culture n’est pas bonne, alors, gardons notre respect pour ce qui est respectable et qui participe, en tout réalisme, au progrès humain.