Marine Le Pen au Québec – Entre diabolisation et discernement

Marine Le Pen

Les positions devraient pouvoir se tenir d’elles-mêmes et ne pas être contaminées par les entreprises de diabolisation des personnes, des partis et des idéologies, etc.

Dans un monde rêvé où le débat public serait plus rationnel qu’empreint de sensibleries, il devrait être possible de pouvoir défendre une idée, des idées, sans devoir toujours en même temps se justifier parce que cette idée, ces idées, sont partagées par d’autres, et que ces autres sont diabolisés, à tort ou à raison.

Ce constat et cet espoir me viennent à la suite du débat qu’a suscité la venue de Marine Le Pen au Québec. Bien franchement, peut-être par paresse, peut-être par manque d’intérêt, je n’avais jamais vraiment porté mon attention plus qu’en surface, à savoir qu’elle est la fille de Jean-Marie Le Pen, l’homme derrière la création du Front national, parti que l’on qualifie d’extrême-droite, qui plus est, raciste et xénophobe. Et qu’elle travaille à redorer le blason du parti, avec succès, en tout cas au niveau de la popularité, depuis qu’elle a remplacé son père à sa tête.

L’entrevue avec Marine Le Pen

Devant le « buzz » qu’a suscité son entrevue avec Anne-Marie Dussault, je me suis dit que c’était l’occasion rêvée de dépasser la surface et d’analyser son discours en regard du fait qu’on la dépeint comme étant la chef raciste/xénophobe d’un parti d’extrême-droite raciste/xénophobe. Et qu’il est certain que cette manière de la dépeindre joue en tout cas sur les impressions, les miennes entre autres, mais qu’il faut bien se mesurer aux faits pour se faire une vraie tête.

Donc, je me suis donné comme défi (et à mes « amis » Facebook) de regarder cette entrevue le plus possible sans a priori, en me débarrassant de mes impressions, de mon parti-pris antiraciste, quelque chose qui ressemblerait à de l’objectivité (même s’il est bien connu que l’objectivité pure est impossible à atteindre). Je me suis dit qu’il me fallait analyser ce moment-là, circonscrit dans cette demi-heure-là, en évacuant le personnage diabolisé pour ne garder que le discours factuel et constater le résultat.

À moins que Marine Le Pen soit une spécialiste du double discours, ce qui est impossible à vérifier puisqu’elle n’était pas branchée en direct à un détecteur de mensonges, bien qu’elle était très critique de l’immigration, je n’ai pas constaté qu’elle tenait un discours raciste/xénophobe. Mais il faut dire que je ne considère pas à la base qu’il est raciste/xénophobe de remettre en question l’immigration – je critique moi-même l’immigration -, à moins que ce soit pour des raisons ridicules comme celle qu’il faut garder les blancs avec les blancs, les noirs avec les noirs, etc. Ou qu’il faut garder séparés les gens de cultures ou de religions différentes parce qu’ils seraient absolument incompatibles en toute occasion, en tout temps et en tout lieu.

Racisme et xénophobie

Pour être certain, mettons les choses au clair : le racisme est une position d’exclusion des individus sur la base des traits génétiques, sur la base de la différence entre ces traits génétiques et ceux de la personne qui discrimine, directement ou indirectement, en se servant de ces différences comme justification. Et quand je parle des différences génétiques, je pointe la chose en terme de qualité et non de quantité, puisque oui le concept de race ne tient pas la route étant donné que, par exemple, la différence génétique entre un noir et un blanc est infime : la différence quantitative ne peut pas servir d’argument. Ainsi, le racisme repose sur la qualité, dans le sens de caractéristique : le blanc a la peau plus sombre que le noir, si le racisme est basé sur la couleur de la peau. En fait, le concept de racisme, bien qu’il repose sur l’idée bancale de l’existence des races humaines, a toujours raison d’être puisqu’il existe tout de même des caractéristiques génétiques reconnaissables qui servent à faire des regroupements d’humains et que des gens rejettent ces groupes d’humains parce qu’ils existent et qu’ils sont en contact, directement ou indirectement, avec eux.

Aussi, j’irais quand même jusqu’à inclure les différences culturelles et religieuses malgré le fait que le racisme, par définition, est abject justement parce qu’il pointe la différence génétique, hors du contrôle de l’être humain (a contrario de la culture et de la religion). Même pour la xénophobie, quand elle est plus que la peur de l’autre parce qu’il est différent génétiquement. Il s’agit surtout d’inclure les différences culturelles et religieuses (bien qu’elles soient sujettes à caution) parce que le but est d’arriver à la conclusion que Marine Le Pen est raciste/xénophobe étant donné que sa position serait basée sur un rejet de toutes ces différences et non parce que par sa position anti-immigration elle rejette des gens différents.

Cette nuance est importante puisqu’il apparaît que le racisme et la xénophobie, pour plusieurs, se résume à critiquer les phénomènes, comme l’immigration, qui mettent en scène la différence, la diversité humaine, comme si le seul fait de ces différences pouvait rendre absolument positif tout ce qui tourne autour et négatif ce qui le critique. Le problème, c’est qu’avec une définition aussi peu nuancée du racisme et la xénophobie, il est trop facile de voir du racisme et de la xénophobie partout, et donc d’avoir l’« impression » de vivre dans un monde raciste et xénophobe, ce qui bien sûr colore le débat public au point où il est très mal vu de même vouloir constater par soi-même si Marine Le Pen tient des propos racistes/xénophobes, encore plus d’arriver à la conclusion que non (en tout cas, dans le contexte de l’entrevue à Radio-Canada avec Anne-Marie Dussault). Le fait qu’aucun politicien n’a voulu la rencontrer, sauf Amir Khadir (parce qu’il a son armure inclusivo-solidaire pour le protéger de l’amalgame…), n’y est pas étranger.

Diabolisation et discernernement

N’est-il pas plus honnête intellectuellement d’analyser par soi-même les propos de quelqu’un que de se fier au résultat d’une diabolisation? Et ce qui est malhonnête intellectuellement, c’est de plaquer le résultat de cette diabolisation sur quiconque ose dire être d’accord avec une position de la personne diabolisée. Encore plus, de considérer que cette personne, parce qu’elle est sous le coup de la diabolisation, ne peut pas avoir d’opinions intéressantes sur aucun sujet (il faut rappeler ici que la visite de la chef du FN était surtout en lien avec des questions de commerce international). Un parallèle avec Richard Martineau est assez facile à faire…

Et ce qui est assez insultant dans toute cette histoire, c’est que les gardiens de la vertu qui voudraient cacher Marine Le Pen semblent croire qu’elle est contagieuse, donc que ces paroles peuvent rendre racistes/xénophobes, et que l’attitude de vouloir aller plus loin que la diabolisation, telle que je la pratique ici, est peut-être signe d’un début de maladie… Même, que le fait de dire que dans le fond elle est peut-être moins raciste/xénophobe qu’on le pense est irresponsable, que je suis irresponsable. Pourtant, je crois être assez grand pour être capable de faire preuve de discernement quand j’écoute quelqu’un parler. Je pense même avoir le discernement assez aiguisé pour mesurer la causalité d’écrire à propos de tout ça. À la base, je pense que ceux qui sont capables de me lire sont assez grands pour faire preuve de discernement.

On pourra penser qu’en affirmant que Marine Le Pen n’a rien dit de visiblement raciste/xénophobe dans son entrevue je joue le jeu des racistes/xénophobes. Même chose parce que j’ose être d’accord avec certaines de ses critiques concernant l’immigration. C’est tout simplement de la diabolisation, ce qui est parfois signe qu’il y a un déficit de discernement. Ce qui donne des analyses binaires : tout noir ou tout blanc, Bien ou Mal, raciste/xénophobe ou ouvert sur le monde, FN ou QS. Pourtant, dans le monde réel, où les nuances existent et devraient surtout être permises, on peut être entre autres un peu FN et un peu QS…

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