L’humain nait nu.
Et c’est là où il est potentiellement dans son état le plus égalitaire aux autres humains. Là où il n’est qu’un début d’être social, là où il n’est qu’une belle feuille blanche à peine noircie.
Et s’il est déjà un être religieux, ce dont on doute avec raison, il est quand même vierge de tout superflu, son corps entier se contente d’embrasser l’air que nous respirons tous, tous les pores de sa peau apprivoisent le fait de ne plus être dans un univers sombre et aquatique.
L’humain n’est nulle part ailleurs à son premier souffle.
Et c’est ce que l’on tente de nous faire oublier en mettant sur un piédestal, au nom de la liberté de conscience, le phénomène religieux. Comme si tout son système, ses règles et ses aprioris étaient innés, comme si tout venait en kit à la naissance selon un schéma bien établi.
Alors, une question : pourquoi accentuer l’importance de certaines personnes (les croyants les plus orthodoxes) devant la société (spécialement dans le débat sur la laïcité) alors qu’il est bien évident que les différences avec les autres sont le fruit de conjonctures parentales, temporelles, géographiques, etc., hors du contrôle de l’humain (nu)?
La liberté de conscience – comme on l’entend au niveau personnel -, étant la résultante d’un cheminement bien hasardeux, est comme un habit que l’humain tisse autour de lui. Et tout ce que fait la laïcité, c’est de demander d’enlever cet habit qui n’est nullement utile dans certaines circonstances pour en endosser un autre, celui-là adéquat, selon des règles justes et équitables. (Certains pourraient argüer que ces règles sont injustes pour ceux qui demandent des accommodements, mais il est impossible de dire qu’elles sont inéquitables en regard de la société…)
Cependant, le problème le plus significatif, c’est qu’en acquiesçant à l’idée que la religion ne peut être contrainte par l’impératif social qu’est la laïcité, on acquiesce aussi à l’idée que la croyance en un être supérieur est encore et toujours une norme pour tous. Donc, la normalité, c’est le fait de croire en un univers spirituel : on cautionne socialement l’idée même de son existence alors que ces questions sont aujourd’hui sujettes à débat comme n’importe quelles autres questions, comme n’importe quelles autres croyances! En refusant de réduire la religion à une liberté comme une autre, on lui donne une place constitutive. Donc, on a évacué la religion de la structure, mais elle l’enrobe toujours de son aura et garde visiblement sa place au niveau symbolique grâce à la rigidité des libertés individuelles et de ses défenseurs.
Et le plus beau, ironiquement, c’est qu’on accepte très bien les positions que sont l’athéisme et l’agnosticisme, entre autres. Par contre, ce n’est pas parce qu’elles sont très bien acceptées qu’elles ne sont pas considérées comme anormales par le fait même. Et la solution pour éliminer cette subordination est la laïcité qui est une norme qui évacue l’idée même de normalité au niveau de la liberté de conscience. Exit la normalité et l’anormalité suit.
Tandis que la laïcité veut faire table rase de toutes ces questions qui ne concernent plus l’État dans les sociétés plus évoluées, la laïcité ouverte se dresse pour nous induire que toutes les croyances ne se valent pas, que celles qui doivent se vivre par une extériorisation objective ont un passe-droit, comme si le choix de vivre de cette manière n’était tout simplement pas un choix. La laïcité ouverte veut nous faire croire que la société ne peut pas s’affranchir du précepte religieux quand c’est requis, ce qui est un leurre et une injustice plus grande que d’empêcher quelques personnes d’arborer des signes religieux dans leur rôle de représentant de l’État. Mais ce n’est pas tant de l’empêcher que de signifier que le choix entre occuper un travail et vivre sa liberté religieuse est égal à n’importe quel autre choix mettant en scène la liberté de conscience. Comme on le voit, la laïcité ouverte place le phénomène religieux dans le domaine de l’intouchable, du sacré.
C’est là où se trouve l’absurdité de la laïcité ouverte qui, en fin de compte, accepte de rendre les droits de certains plus importants que ceux des autres en commandant que certaines personnes puissent avoir le droit de corrompre le principe clair de la neutralité, au nom du phénomène religieux qui serait primordial à l’humain alors que la métaphore de l’humain (nu), développée plus haut, démontre bien le contraire.
C’est la base même de la société contemporaine et de l’idée de progressisme qui vacille quand on considère ces questions à la légère au nom de l’incontestable liberté religieuse. Pour ceux qui ne cessent de répéter que le crucifix dans le cou d’un juge, que le voile sur la tête d’une employée au service à la clientèle d’Impôt Québec, que le crucifix à l’Assemblée ne sont pas graves, c’est la grande importance du message qu’envoie le symbolisme qu’ils réfutent. Et accepter de retirer des symboles et un symbole en soi, mais celui-là inclusif et rassembleur.
Nier cela dans une société comme la nôtre où l’importance de l’image est si capitale relève de l’aveuglement volontaire. C’est un autre héritage du multiculturalisme canadien dont on se serait bien passé…
(Crédit photo : Dan Harrelson)