Décortiquons la pensée de ces gens qui, en usurpant l’antiracisme, trouvent à redire du spectacle Slav sans même l’avoir vu. Et cela, parce qu’il n’est pas entièrement conçu et interprété par des noirs alors qu’il est basé sur des chants d’esclaves noirs. Parce que l’interprète principale, Betty Bonifassi, et le metteur en scène, Robert Lepage, sont blancs. Et parce que sur six choristes, il n’y a que deux personnes noires.
Transparence totale, je ne l’ai pas vu non plus. Mais si on peut se permettre de porter des jugements sur la proposition de base et sur ses acteurs, je peux bien aussi les critiquer.
L’appropriation culturelle comme prise d’otage
Pour avoir assez lu et entendu leurs arguments, j’ai pu comprendre qu’il faudrait que tout artiste blanc qui veut s’appuyer sur un ou des éléments identifiés à la culture noire pour créer s’abstienne ou offre gracieusement son idée et sa démarche à un ou des artistes noirs. Sinon, c’est de l’appropriation culturelle. (On remarquera que cette expression prend en otage l’idée même de mixité culturelle et de l’apport nécessaire de l’influence en art.)
Donc, Betty Bonifassi aurait dû laisser le fruit d’une vingtaine d’années de travail, de passion (et une rencontre artistique très importante pour sa carrière avec le grand artiste Robert Lepage) à un ou des interprètes noirs. Même que Robert Lepage aurait dû refuser ou, tant qu’à y être, refiler le projet à un metteur en scène noir.
Mais, de toute façon, Betty Bonnifassi n’aurait jamais dû être choisie pour faire de la recherche sur les chants d’esclave en lien avec un projet théâtral (ce qui a été la genèse de ce projet et de deux albums où elle a enregistré ces chants). Et en plus, à la base, elle n’aurait jamais dû pouvoir trouver de matériel, puisque ce sont des blancs, le musicologue John Lomax et son fils Alan, qui ont travaillé d’arrache-pied depuis les années 30 pour archiver tous ces chants.
La voie de la disparition
Le choix que nous offrent ces antiracistes de pacotille :
– La lente disparition de cette partie essentielle de la culture noire.
– Une générosité disproportionnée de la part d’artistes blancs, imposée par la culpabilité.
Si ce n’avait été du travail de ces deux blancs pour les archiver, de concert avec des noirs qui ont bien voulu collaborer, cette culture serait déjà en voie de disparition. Et si on devait compter sur la générosité de quelconque artiste en lui imposant un sentiment de culpabilité, il ne se passerait pas grand-chose : le fait d’être artiste est déjà un « don de soi » qui demande en contrepartie, et c’est très légitime (pour les noirs comme pour les blancs) un « retour sur l’investissement ». Cela sonne pour le moins capitaliste, mais en-dehors de l’idéalisme et de la vertu, la réalité est que l’humain ne peut pas qu’être désintéressé, même en étant généreux. Il ne ferait que perdre.
Des communautés en vase clos
Alors, s’il fallait respecter la grille d’analyse de ces antiracistes, il ne se passerait absolument rien de transcendant dans la société. Les communautés noires et blanches travailleraient chacune de leur côté en vase clos, gardant jalousement leurs terrains culturels. Et si la mixité culturelle ne pouvait être possible que pour les noirs, il n’y aurait que la culture blanche pour s’immiscer dans leur culture. Et la diluer par le fait même, si on fait un calcul comptable.
En somme, leur vertu antiraciste encourage la cristallisation des communautarismes et enferme les cultures dans des exclusivités raciales, alors que cet adjectif d’un autre temps devrait plutôt être banni du vocabulaire. Puisqu’il donne des munitions à ce racisme insidieux qui met de l’avant le droit de propriété culturelle. Ce qui est plutôt ironique pour des gens qui pourfendent le capitalisme et qui ne réussissent qu’à voir dans Slav un projet de blancs qui profitent de la culture noire. Sans oublier qu’ils prônent aussi l’inclusion.
Pourtant, dans les faits, l’univers culturel est plus inclusif grâce entre autres aux Lomax, Betty Bonifassi et Robert Lepage de ce monde.
Enfin, si on considère que la société devrait ressembler à un espace ouvert, de bonne volonté, où les cultures se donnent la main au lieu de rester dans leurs coins à bâtir des murs, en bêtise armée, de victimisation et de culpabilisation.
Ces exagérations qui ne sont rien de moins que les armes des faibles de coeur et d’esprit, qui minent la paix sociale en jouant, comme des enfants, alors qu’ils sont surtout censés être des citoyens responsables, aux guerriers de la justice.
L’idéalisme mérite beaucoup mieux.