Citoyenneté québécoise : entre l’arbre et l’écorce

 

Malgré toutes les volées de bois rond, je crois que le problème avec l’idée de citoyenneté québécoise n’est pas tellement celle qui en fait la promotion, Pauline Marois (et son parti), mais bien surtout le contexte canadien. Établir et changer les règles pour la citoyenneté est l’apanage de tous les pays, mais malheureusement, en tout cas pour moi, le Québec est seulement une province. La citoyenneté est clairement une compétence fédérale et toute tentative de passer outre sans séparer la province du pays sera très difficile à faire passer, autant légalement que moralement.

Au niveau moral, alors qu’il se fait en quelque sorte le porte-étendard d’un regard critique important à ce sujet, mon confrère Patrick Levesque est allé jusqu’à pointer la xénophobie pour qualifier le projet de citoyenneté québécoise (qui est surtout basé sur la connaissance de la langue française, nonobstant des origines des habitants du territoire). Il pointe une définition sociologique de la xénophobie pour justifier son accusation envers le PQ et nous met au défi de trouver mieux (et j’ajouterais : de trouver plus juste) :

 

ensemble des discours et des actes tendant à désigner de façon injustifiée l’étranger comme un problème, un risque ou une menace pour la société d’accueil et à le tenir à l’écart de cette société, que l’étranger soit au loin et susceptible de venir, ou déjà arrivé dans cette société ou encore depuis longtemps installé.

 

On remarque d’abord que cette définition pointe le concept de l’« étranger » de manière générale alors que les règles linguistiques que voudrait mettre de l’avant Pauline Marois seraient aussi contraignantes pour tous, les personnes nées au Québec incluses. Donc, logiquement, l’accusation de xénophobie ne tient pas la route, puisque cela ne concerne pas seulement, à proprement parler, les étrangers. S’il y a « phobie » dans la démarche du PQ, il faudrait pouvoir pointer nécessairement le langage, particulièrement le fait de ne pas connaître la langue française. Par exemple, le concept d’« anglophobie » ne pourrait être désigné puisque le problème n’est pas la connaissance d’une langue, mais bien la méconnaissance de la langue de la majorité, de la langue officielle de la province, donc de la langue commune. Alors, si la xénophobie peut être comprise comme étant le fait de pointer ce genre de problématique linguistique, c’est que ce terme est un concept fourre-tout. Beaucoup trop à mon sens, parfait pour la démagogie…

Et d’ailleurs, même si la règle contraignante ne pointait que les étrangers, il serait aussi difficile de parler de xénophobie. Le problème étant linguistique, si le fait de pouvoir désigner comme xénophobe tout projet voulant restreindre la citoyenneté pour les immigrants ayant une incapacité de parler français, il serait aussi possible de pointer cette incapacité comme étant xénophobe envers la société d’accueil. Personnellement, je m’abstiendrais de traiter nos immigrants qui refusent obstinément d’apprendre le français de xénophobes, idem pour nos unilingues anglophones. Et pourtant, dans ce contexte linguistique, ces derniers sont dans le refus (certains pourraient pointer la paresse ou l’inaptitude) alors que de l’autre côté il est question du voeu que toute la société se regroupe autour de la langue de la majorité québécoise (et le gros du problème avec le projet du PQ, c’est que pour y arriver il s’agit d’y aller d’une manière coercitive).

Le seul point qui pourrait avoir du sens dans cette définition sociologique de la xénophobie est l’idée de « tenir à l’écart ». En effet, si une citoyenneté québécoise était contraignante au niveau de la langue comme c’est suggéré, elle tiendrait à l’écart certaines personnes. Mais, contrairement à la définition, qui pointe un rejet injustifié qui ne tient que sur le fait d’être étranger, cette mise à l’écart est hypothétiquement temporaire, à la condition d’apprendre le français. Et si, je le répète, cet étranger (et cet anglophone unilingue) est considéré « comme un problème, un risque ou une menace pour la société », ce n’est que pour une raison linguistique, donc ce n’est aucunement général, l’idée de xénophobie se trouvant dans ces eaux-là. Parce que le xénophobe inclut tous les immigrants dans son calcul, et le fait pour eux de vouloir s’intégrer, au moins linguistiquement, n’est pas pour lui un facteur atténuant. Pour lui, l’étranger est un problème. Et je ne crois aucunement que Pauline Marois pense de même…

Sinon, le problème demeure toujours au niveau de l’application de règles contraignantes envers les anglophones unilingues et les allophones n’ayant pas appris le français depuis qu’ils sont ici. Personnellement, je comprends qu’il faut pousser dans le sens de faire du français la langue commune au Québec, et pas seulement un voeu pieux comme c’est le cas actuellement, mais cette idée de l’encadrer de cette manière dans un processus de citoyenneté québécoise me semble discutable. De toute façon, au niveau légal, ça ressemble déjà à un cul-de-sac. Pour moi, le mieux serait d’accepter comme citoyen tout le monde déjà ici, d’offrir gracieusement des cours de français à ceux qui le désirent et d’appliquer ces nouvelles règles aux nouveaux arrivants.

Avec l’espoir que l’avenir s’occupera du reste.

 

Màj :

 

Comme si le Parti Québécois m’avait entendu… Un communiqué du PQ paru un peu plus tôt va dans le même sens que ma conclusion :

Ainsi, la citoyenneté québécoise serait automatiquement accordée à tous les citoyens vivant sur le territoire du Québec au moment de l’adoption de la loi. Par la suite, les nouveaux arrivants pourraient obtenir leur citoyenneté québécoise en démontrant une connaissance appropriée du Québec et de la langue française. De telles exigences seraient semblables à celles requises par le gouvernement du Canada, qui demande une connaissance appropriée du Canada et de l’une des deux langues officielles pour obtenir la citoyenneté canadienne. D’autres pays à travers le monde ont également ces exigences, comme l’Australie, l’Allemagne, les États-Unis, la France et le Japon.

 

(Photo : Christopher.woo)

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8 réponses à Citoyenneté québécoise : entre l’arbre et l’écorce

  1. Renart, relis-bien la définition d’étranger. Elle ne signifie pas « quelqu’un venant de l’extérieur » puisqu’elle précise qu’il peut être établi au pays depuis longtemps. Il faut comprendre ici étranger comme « différent de soi. »

    En refusant donc à cet « étranger » établi chez nous depuis des siècles le droit à la représentation politique et la participation à la vie démocratique, nous contribuons de facto à l’isoler. Nous le mettons en marge du débat.

    Prétendre que ne pas vouloir apprendre le français afin de stigmatiser l’autre n’y change rien, et n’est au final qu’un leurre de convenance pour se donner bonne conscience. En fait, cela revient à prétendre que l’étranger « est un problème » comme le précise la définition.

    Tous les volets y sont: un groupe étranger facilement identifiable, présenté comme un problème, et isolé, mis à l’écart par la négation de ses droits.

    Je persiste et je signe: cette déclaration était teintée de xénophobie. Je reconnais que le communiqué de presse émis par le PQ a tenté de changer la donne; j’estime néanmoins cela insuffisant dans les circonstances, comme précisé dans mon dernier billet.

  2. Il faudra alors que tu m’expliques en détail le concept de « différent de soi » parce qu’à ce compte-là, tu es différent de moi…

    Je le répète, la xénophobie (et même le racisme) est une conception fourre-tout de nos jours. On l’utilise à toutes les sauces sans trop s’inquiéter de son poids et c’est bien dommage. Je me demande à quoi ça sert de mettre Jean Tremblay et Pauline Marois sur le même pied d’égalité. Cette dernière nous à servi un protectionnisme mal dosé, point.

  3. Franchement Renart, « soi » ne réfère pas seulement qu’à un individu. Il peut référer à un groupe d’individu. La xénophobie n’est pas un concept fourre-tout, au contraire, il est très bien défini, avec un ensemble de clauses qui sont toutes respectées. Minimiser la portée d’un terme, le dénigrer en quelque sorte ne réussit pas à expliquer le dérapage de Marois.

  4. Mathieu Lemée dit :

    « En refusant donc à cet “étranger” établi chez nous depuis des siècles le droit à la représentation politique et la participation à la vie démocratique, nous contribuons de facto à l’isoler. Nous le mettons en marge du débat. »

    Alors si je vous comprends bien, la très grande majorité des pays du monde sont xénophobes puisque pour faire carrière en politique, il faut obligatoirement parler la langue principale du pays ou la maitriser correctement, et certains de ces pays ont déjà des lois linguistiques pour s’en assurer. Pourtant en lisant sur la xénophobie, on découvre que pour qu’elle soit présente, il faut bien plus que simplement discriminer les étrangers parce qu’ils ne parlent pas la langue du pays.

    « Prétendre que ne pas vouloir apprendre le français afin de stigmatiser l’autre n’y change rien, et n’est au final qu’un leurre de convenance pour se donner bonne conscience. En fait, cela revient à prétendre que l’étranger “est un problème” comme le précise la définition. » Bizarre pourtant. Aucun immigrant ne se plaint et même accepte d’être obligé de devoir apprendre la langue principale du pays dans lequel il immigre, mais au Québec, simplement vouloir que les immigrants qui voudraient seulement se présenter en politique apprenent le français nous taxeraient automatiquement de xénophobes? C’est l’hôpital qui se moque de la charité en somme.

  5. Pour ma part, je crois que ton dérapage est d’utiliser le terme « xénophobie » pour désigner quelque chose qui a un lien avec la protection du français et ce désir de voir cette langue comme étant la langue commune dans le territoire. Ça légitime la position de ceux qui pensent et disent que ceux pour qui le français est assez important pour légiférer afin de le protéger sont des racistes et des xénophobes. Donc, selon l’impression que j’en ai, la majorité de la communauté anglophone et des « french-canadians » habitant au Québec.

    Je suis d’accord que Marois est allé trop loin, mais de là à lui accoler le sobriquet de xénophobe, il y a une marge. Je le répète, ce n’est pas la haine de l’autre ni des langues étrangères (ce qui oui, pourrait être taxé de xénophobie), mais bien une sorte de protectionnisme. Je n’en démord pas. Et on peut être en désaccord avec ce protectionnisme, mais le débat est ailleurs. Mais si pour toi le but d’avoir le français comme langue commune n’est pas un but noble à la base, c’est tout à fait normal que tu sautes sur le terme « xénophobe » pour désigner quiconque trouve cela important au point de vouloir légiférer dans un sens contraignant. Pour ma part, je trouve ça important, alors je pense que le point de discorde se trouve simplement dans le dosage.

    Et pour ce qui est de ta définition sociologique de la xénophobie, je continue de penser qu’elle passe tout à fait à côté, je ne répéterai pas les arguments que j’expose déjà dans le billet… 😛

  6. L’utilisation du terme « xénophobie » ne réfère pas dans mon billet à la protection du français. Je précise d’ailleurs être plus que favorable aux mesures prises en ce sens par la loi. Elle réfère uniquement à la négation de droits détenus par un groupe spécifique. Tout comme elle peut s’appliquer pour la négation des droits fondamentaux des canadiens-français hors-Québec, dans l’article que tu cites.

    Je le répète: je suis 100% en accord avec la loi 1010, et la nécessité d’encourager le français en Amérique du Nord. Il faut cependant arrêter de croire que la protection de la langue française est une cause d’une pureté telle qu’elle nous permet de tout faire sans se poser de question.

    Bref, nous allons camper sur nos positions.

    Et pour répondre à Mathieu, il y a une fine mais réelle distinction entre le fait d’avoir une langue officielle (voir même plusieurs), dans laquelle se tiennent les débats diplomatiques, et l’octroi ou non du droit de participer à la vie démocratique à un groupe d’individus. Le premier est défendable; le second ne l’est pas. Ainsi, au Québec, la langue des débats à l’Assemblée Nationale est le français. Quelqu’un ne parlant pas la langue ne pourrait certes pas y faire un travail spectaculaire. Mais, s’il est né ici et a la citoyenneté, nous ne pouvons pas lui interdire de se présenter aux élections, ni de cotiser à un parti ou présenter une pétition. Dans le premier cas, nous imposons un cadre à la tenue des débats qui permet à tous d’y participer. Ce cadre demeure donc, d’une certaine façon, inclusif. Dans le second cas, empêchons les gens d’accéder à ce cadre; cette action est répressive, c’est un geste d’exclusion, d’isolation.

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