
Photo : DAMIEN MEYER/AFP/Getty Images
En lien avec l’attentat contre Charlie Hebdo, selon un article de La Presse, M. Kounna, président de l’Association culturelle islamique de l’Estrie condamne « tout ce qui vient de se passer en France. » Il rajoute que c’est « un acte qui vise la liberté d’expression et [que] c’est un moyen illégal, que de faire la loi soi-même… »
Bien dit. On ne s’attend à rien de moins venant de la part d’un citoyen prenant la parole pour une communauté de 4 500 personnes dans une société de droit, à propos de ce qui s’est passé dans une autre société de droit.
Par contre, là où le bât blesse, c’est quand il rajoute ce qui suit :
La liberté d’expression a des limites, dit-il. Pas seulement au Québec ou en France, mais partout dans le monde. En tant que musulman, lorsqu’on s’en prend au prophète sous prétexte de la liberté d’expression, c’est grave. Et il y a des risques de répercussions. Je ne dis pas que je suis d’accord avec ce qui s’est passé, au contraire. Je dis que là où il y a liberté d’expression, il doit aussi y avoir du respect. Sinon, n’importe qui peut dire n’importe quoi. Il doit y avoir certaines limites, c’est tout…
Ils le méritaient un peu, dans le fond…
Sérieusement, il aurait dû s’abstenir d’en rajouter. Ça devient une tiède condamnation avec un gros MAIS qui vient tout gâcher, qui enlève pas mal de lustre à ce qui ressemblait à une profession de foi citoyenne. On pourrait presque en comprendre que les créateurs de Charlie Hebdo le méritaient un peu, dans le fond, comme quand on se donne la peine de pointer du doigt la jupe peut-être trop courte d’une femme qui porte plainte pour viol…
L’image est crue, mais elle dit ce qu’elle a à dire : il n’y a pas à relativiser un crime comme le meurtre ou le viol en disant que la victime a fait si ou ça, ce qui l’aurait encouragé. Une femme qui porte une jupe courte n’est pas un encouragement au viol comme des caricatures irrespectueuses pour certains croyants ne sont pas un encouragement au meurtre. Encore moins une justification.
La liberté d’expression est secondaire
Mais regardons les propos pour ce qu’ils soulèvent comme questions sur la liberté d’expression versus la religion, musulmane, dans le cas qui nous préoccupe, puisqu’il n’y a que du côté musulman que la notion de blasphème est aussi fort. Quand M. Kounna parle des limites, il ne parle assurément pas des limites proposées par les lois, puisque Charlie Hebdo n’a jamais été reconnu coupable de contrevenir à la loi en publiant des caricatures de Mahomet.
Et en ce moment, les quotidiens francophones du Québec se sont concertés pour publier une caricature de Mahomet, parue originalement dans Charlie Hebdo, et il n’y a aucun doute que la moindre plainte à ce sujet se verrait déboutée illico.
Ce dont il parle évidemment, ce sont des limites morales et religieuses selon son point de vue et celui de ses coreligionnaires (il faut rappeler qu’il parle pour 4 500 personnes). Sans oublier, en parallèle, des limites éthiques que d’autres réussissent à soulever, en pensant que la liberté d’expression ne peut pas servir à offenser les croyances sincères (bien sûr, dans une perspective strictement religieuse : il est bien clair que pour eux les croyances philosophiques ou humanistes sont bien secondaires). Et je vous gage que plus la poussière retombera, plus nous entendrons parler de ces derniers…
Criminaliser le blasphème
Alors voilà, qu’est-ce que M. Kounna nous propose dans le fond? De criminaliser carrément le blasphème au niveau international, comme le redemandait en 2012 le parti « Liberté et justice », issu des Frères musulmans, de concert avec l’Organisation de la conférence islamique, en même temps qu’il demandait au gouvernement français de « prendre des mesures énergiques contre Charlie Hebdo »? Donc, de mettre la liberté d’expression au diapason de la soit-disant règle qui interdirait la représentation de Mahomet? (Selon le spécialiste de l’Islam Malek Chebel, « représenter Mahomet n’est pas interdit ».)
Si la limite pour tous est la limite que voudrait M. Kounna et consorts, à quoi bon parler alors de liberté d’expression? Ça devient un concept complètement vide de sens! Si des écrits religieux peuvent baliser les libertés qui découlent de la liberté d’expression, considérée comme une liberté fondamentale, inscrite en toutes lettres dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, que peut-il bien rester de l’idée même de liberté?
Le respect
M. Kounna a beau soulever le respect, une valeur bien sûr très importante, mais l’irrespect doit-il absolument trouver une réponse dans la criminalisation ou encore pire, le meurtre?
Comme je l’écrivais hier : « Ce monde est offensant pour moi, pourtant je n’ai jamais pensé le faire exploser ni le tuer, ni directement ni indirectement. Quand il m’offense trop, je m’éloigne, je ferme les yeux, je m’évade, ou bien je crache mon indignation le plus loin que je peux.
C’est le mieux que je peux faire et c’est le mieux que quiconque devrait faire dans un monde civilisé qui n’existe pas encore. »
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